La dernière née de la série R n’est évidemment pas la plus sophistiquée. Cette carence relative n’empêche toutefois pas son attractivité. Quittant l’an dernier le guidon de la KTM RC 390, nous titrions « La menace vient d’en bas » ; avec cette R3, c’est confirmé !
Certes, la plupart des prétendantes de cette cylindrée hybride (Z300, CBR300, RC390, …) sont destinées à intéresser les détenteurs du nouveau permis A2 ; n’allez pourtant pas croire que l’étendue de leurs possibilités s’arrête à ces récipiendaires en mal des premiers grands frissons motocyclistes. Au contraire, un amateur de grosses cylindrées rompu à l’exercice de la piste peut aussi –et davantage qu’un autre peut-être- jouir au quotidien du plaisir d’essorer la poignée droite sans être instantanément mis sur orbite, avec le danger que cela fait courir à son permis, à son compte en banque et à son intégrité physique…
Elle aime la ville
Désormais installé en plein centre de Tubize, l’importateur Yamaha vous impose d’étalonner sa nouveauté à l’aune urbaine dès que vous quittez ses locaux. Mais accordons-nous un tour du propriétaire avant de mettre gaz… L’ascendance de la R3 est criante : au premier coup d’œil, on pourrait aisément se méprendre en la confondant avec une R6 des premières générations (jusque 2005) car son gabarit, quoique plus compact, n’en est pas très éloigné. La finition est bonne et la ligne acérée à souhait ; les jantes allégées à 10 branches viennent rehausser un tableau que ne ternissent nullement ni les optiques, ni l’instrumentation lisible et complète (avec ordinateur de bord) ni l’échappement correctement intégré à la ligne générale.
« Tu verras, elle ne consomme rien, je m’en suis aperçu en la rôdant, nous confie Christian, le mécanicien maison. » De fait, notre R3 d’essai s’est contentée d’une moyenne de 4,9L/100km en étant systématiquement conduite en mode personne ne passe. Par contre, en respectant les limitations de vitesse, elle est descendue à 3,5L, ce qui la rend aussi sobre qu’un scooter 125 tout en affichant des performances incomparables. Jugez-en plutôt : ce petit bicylindre parallèle résolument super-carré et contemporain avec ses 42 valeureux canassons ont emmené la grande carcasse de votre serviteur et ses 100kg (au moins !) à 180km/h au compteur. « Oh, ça ne m’impressionne même pas, précise Christian lors de mon retour, on a un futur champion de 12 ans qui a pris 198km/h à Spa ! » Ouais d’accord, mais là on parle d’un nain qui pèse 20kg tout mouillé… Pour néanmoins corroborer ces données flatteuses, nous avons accroché un 162km/h compteur en couple ; ce qui rend la R3 plus performante que le mono de la KTM RC390 pourtant légèrement plus puissante (45cv). Une belle perf’ à mettre l’actif de cette 321cc aux trois diapasons.
Dès qu'on s'installe aux commandes de cette petite moto, on s'aperçoit que l'ingénierie Yamaha n'a pas conçu une YZF au rabais car l'ergonomie y est aussi soignée que la finition. Grâce à la selle plutôt basse (780mm) malgré un arrière surélevé, un pilote d'1m60 pose aisément ses pieds au sol tandis qu'un conducteur de grande taille n'éprouve pas plus de difficulté à y trouver ses marques. C'est que le triangle guidons (rehaussés et écartés), pose-pieds (idéalement situés) et sellerie (moelleuse et échancrée) définit une position de conduite plus relaxe que réellement sportive, laquelle n'interdit cependant pas une bonne lecture du revêtement routier. Quittant les locaux de l'importateur, la R3 vous met instantanément à l'aise et sa répartition des masses idéale (50/50) n'y est pas étrangère. Naturelle par essence, la Yamaha met en confiance aussi vite qu'elle dégaine sa cavalerie pour vous arracher à un rond-point, elle plonge à la corde avec une facilité déconcertante, accentuant par là ce côté racing que son agilité hors norme distille également avec brio dans les ralentissements et bouchons inhérents à la ville. Un outil et un jouet de premier ordre, en somme.
Elle aime la route
Si la R3 brigue bel et bien l'éméritat urbain, c'est néanmoins sur la route qu'elle épanouira au mieux son potentiel et réjouira son propriétaire. Car, qu'on se le dise, 42cv pour un poids tous pleins faits inférieur à 170kg, c'est amplement suffisant pour dérider le plus ascétique des conducteurs. Avec cet arsenal, vous déposez virtuellement toutes les voitures au démarrage (même lorsqu'il veut s'accrocher, ce rascal de conducteur!) et, à l'accélération, vous surprenez même des motards aux commandes de machines bien plus puissantes, comme ce pilote de CBR650R qui n'est toujours pas revenu de voir la sylphide Yamaha s'échapper devant lui et résister longtemps à sa charge de cavalerie avant de rendre les armes. Respectueux, l'homme avait la victoire modeste au feu suivant : « Je n'aurais pas cru qu'une 300 irait si fort, me lança-t-il laconiquement. Et d'ajouter : On dirait que tu as fait le bon choix ! » Et de fait, l'interrogation lancinante qui nous était venue l'an dernier aux commandes de la KTM RC390 s'est refait jour avec la R3 : et si une plus grosse moto s'avérait aujourd'hui tout simplement inutile ? Car enfin, cette 300 va largement assez vite pour dominer le flux de circulation, offre suffisamment de brio pour donner la banane, est plutôt confortable (même la petite bulle s'acquitte honorablement de sa tâche), consomme (très) peu et est tout de même bien moins dispendieuse que ses consoeurs de plus fortes cylindrées...
Son petit moteur réussit une manière de tour de force dans la mesure où sa faible cylindrée ne le rend pas asthénique dans les basses rotations, c'est qu'il est calé à 180°, comme les tricylindres anglais ; de quoi favoriser donc le couple et la réponse en bas du compte-tours. S'il ne peut offrir l'élasticité proverbiale d'un gros 4-cylindres, il s'avère pourtant raisonnablement souple et bienveillant, bien secondé qu'il est par des transmissions des plus suaves. Certes, sa vigueur s'éveille surtout à 6500rpm (avec en prime une sonorité flatteuse), mais cela ne signifie pas qu'il soit paresseux en dessous. En tous cas, dès ce seuil, le petit bicylindre fait preuve d'une belle volonté et il se rue littéralement à l'assaut de la zone rouge entre 9000 et 13000rpm, régime où intervient le rupteur, d'ailleurs secondé par une shift light bien utile vu l'allant réjouissant de la mécanique.
Elle aime tout
C'est vrai, on peut regretter que ses leviers ne soient pas réglables et que les suspensions signées Kayaba se contentent en tout et pour tout d'un réglage de précharge à l'arrière ; mais après tout, on ne va pas non plus l'aligner en Mondial Supersport et le fait est qu'à son guidon, on se moque bien de ces petites limitations tant la facilité et le plaisir sont au rendez-vous. Sous la selle ? Pas de miracle, juste de quoi emporter un bloque-disque compact, mais c'est l'essentiel.
Du côté de la monte pneumatique, Yamaha n'a heureusement pas lésiné -comme certains constructeurs le font sur les petites cylindrées- et la R3 arbore un jeu de Michelin Pilot Street qui s'avèrent intraitables dès qu'ils sont à température (ça leur prend une dizaine de kilomètres tout de même), que ce soit sur le sec ou sur revêtement humide, c'est à souligner. C'est tant mieux, car les enveloppes signées Bibendum doivent aussi composer avec un excellent système de freinage doublé de l'ABS. Sur ce point, la Yamaha, bien que globalement moins sportive et plus prévenante pour son pilote que la KTM RC390, fait mieux que l'Autrichienne ; non pas par le mordant, mais par l'endurance et la progressivité de son disque avant de 298mm. Un freinage (largement) suffisant en toutes circonstances, là où la KTM donnait parfois l'impression de freiner « au-dessus de ses pompes » lorsqu'elle était lancée à pleine vitesse. L'arrière joue bien son rôle de ralentisseur/équilibreur et l'ABS s'est avéré d'une belle discrétion, même en pilotage plus sportif, lorsqu'une approximation devient possible...
De leur côté, les suspensions Kayaba assurent à la petite R un confort étonnant, notamment la fourche de 41mm de diamètre qui s'y entend également fort bien pour assurer un guidage de qualité avec un bon retour d'informations vers le pilote. Le combiné arrière se montre un peu moins prévenant mais qu'à cela ne tienne, il est alors fort bien secondé par la sellerie moelleuse qui vient compenser le phénomène. En termes d'efficacité dynamique pure, la R3 ne souffrira un peu que sur mauvais revêtements ; dans ce cas , le tarage de suspensions privilégiant le confort lui fera (un peu) perdre de sa superbe, mais dans une mesure très acceptable. Elle se rattrape de toute manière grâce à une maniabilité hors pair qu'elle doit autant à son empattement court qu'à son angle de chasse idéal (25°). Pour offrir du plaisir à son pilote donc, la R3 répond toujours présent même si c'est avec un peu moins de rigueur sur les grosses aspérités bitumeuses.
On l'aime aussi
Indéniablement, cette R3 nous a laissé le même genre de sentiment que la redoutable RC390 l'avait fait en 2014 : cette perplexité qui amène à se poser la question de la pertinence des plus grosses cylindrées dans le contexte actuel... En effet, cette R3 fait tout bien, distille du plaisir à son propriétaire, fait courir moins de risques et respecte davantage la conscience environnementale. D'aucuns posent à son adresse la question du positionnement tarifaire ; il est vrai qu'à 5500€ l'exemplaire, une R3 n'est pas si loin du best-seller MT-07. Nous pensons cependant qu'elle offre d'autres plaisirs par la grâce de son positionnement plus sportif : la R3, c'est une école de pilotage qui peut s'exploiter dans son intégralité ou peu s'en faut.