Dans son Eloge de la folie, en plein courant humaniste, Erasme plaçait l’homme au centre de ses réflexions, et c’est précisément ce qu’a fait MV Agusta en développant la Brutale 1000. En selle pour une sacrée rencontre avec sa nouvelle déclinaison RS.
Par rapport à la version RR sortie en 2020, avec ses bielles et soupapes en titane ( !), la RS se veut plus démocratique et se négocie autour de… 26.000€. L’exclusivité a certes toujours son prix, mais avec une facture plus rationnelle puisque minorée de 7.000€, le monstrueux roadster de Varèse a le bon goût de ne rien sacrifier en performance pure. Les 208 chevaux enflammés sont toujours de la partie et les sensations offertes ouvrent sur un autre univers. Au fond, les différences sont ténues entre une RR et la nouvelle venue : des coloris simplifiés, des bracelets rehaussés, d'autres rétroviseurs et des suspensions Marzocchi/Sachs pour remplacer les Öhlins semi-actives de la RR. Pour mieux situer la Brutale 1000, nous avons d’ailleurs eu l’occasion rare d’en parler avec Brian Gillen, Directeur technique de MV Agusta et de son département course.
La belle est la bête!
"Brutale", jamais sans doute une MV n’avait aussi bien porté son nom car il émane de l’Italienne une bestialité empreinte de violence à peine contenue. Sa compacité, ses lignes, sa silhouette râblée et musculeuse, tout concourt à intimider l’observateur, comme ses 208cv pour 186kg.
L’entretien avec Brian Gillen permet de mieux cerner la genèse du modèle ; il nous explique que la Brutale 1000 concrétise la nouvelle approche implémentée par la marque depuis 2016. De nos jours, produire une moto performante est devenu relativement simple ; chez MV, il faut de surcroît qu’elle exsude un design original et surtout qu’elle permette à chaque utilisateur, quel que soit son niveau, de se faire plaisir sans jamais se sentir dépassé par sa monture. « Nous nous focalisons sur le pilote, précise Brian Gillen, une moto ne doit pas être exigeante, elle doit se plier à l’utilisation que désire en faire son propriétaire, c’est pourquoi avec cette nouvelle Brutale RS, nous avons tenu à élargir au maximum la fenêtre d’utilisation de la machine, et c’est son package électronique ainsi que son ergonomie revue par rapport à la RR qui nous le permettent. Pour y arriver, le département R&D a méticuleusement planché sur le projet. »
Le fait est que notre essai, même écourté par une crevaison –merci au chantier du métro de la Gare du Midi !- fut riche d’enseignements. D’abord, l’ergonomie de cette Brutale RS est une réussite ; même un escogriffe comme votre serviteur y trouve sa place sans souci et, grâce aux bracelets rehaussés, la position gagne en naturel ce quelle perd en appui sur les avant-bras. Mais il n’y a pas que cela ; cette ergonomie soignée a aussi pour fin de limiter les transferts de masse lors des accélérations et des freinages, ce qui est pertinent car si les premières ont de quoi vous décoller la perruque, les seconds sont de nature à vous sortir le dentier de la bouche! Surprise à l’usage : bien qu’aucune protection n’existe, les volumes de la Brutale furent ainsi conçus en soufflerie que la pression du vent s’avère très homogène et donc nettement moins gênante qu'escompté.
Une frustration pour suivre ; malgré les recours de la rhétorique, il nous sera bien difficile de vous faire partager la partition envoûtante qui s’exhale tant de l’admission que des quatre sorties d’échappement. Comme toujours chez MV, c’est caverneux et agressif et quand s’y mêle le souffle du shifter, cela devient grisant. Rien qu'au démarrage, lors du premier grognement de la bête, les regards sont aimantés par la sculpturale MV.
Que dire ensuite de ses performances ? A l’évidence, un tel moteur vous bouscule les neurones mais, conformément à ce qu’annonçait Brian Gillen, la sensation de contrôle est très présente grâce à une dotation électronique si exhaustive qu’elle surclasse aisément la majorité de la concurrence. Entre autres, on bénéficie ici du FLC (Front Lift Control) et d’un Launch Control en tous points semblable à ceux qu’utilisent les pilotes en MotoGP et en Superbike. Pour bien l’utiliser, le mode d’emploi est simple : à l'arrêt, on ouvre les gaz à fond et puis seulement on relâche l’embrayage. C’est comme si on était catapulté d’un porte-avions mais en toute sécurité ; l’impression de confiance qui se dégage de l’expérience est source de sérénité et de plaisir car, comme on le dit chez MV : « Les vitesses élevées sont illégales mais heureusement, les accélérations ne le sont pas ! » Et celles d'une Brutale 1000 sont stratosphériques…
Et du côté des suspensions?
Comme nous le disions plus haut, les suspensions pilotées made in Sweden sont délaissées au profit d'un couple classique dépourvu de servomoteurs: une fourche inversée Showa de 50mm et un amortisseur Sachs qui intègre la compression lente ou rapide. Notons toutefois que l'amortisseur de direction Öhlins géré électroniquement reste de la partie sur la RS. La principale différence ressentie à l'usage entre une RR et une RS ne réside pas dans une perte d'efficacité du comportement routier: avec les réglages adéquats -certes plus fastidieux à trouver-, une RS ne souffre virtuellement pas de la comparaison avec la RR. Par contre, le confort est en retrait par rapport aux éléments Öhlins semi-actifs, le manufacturier suédois excellant à combiner confort et efficacité dynamique. Malgré la rembourrage plus moelleux de sa selle, la RS vous fait davantage profiter des irrégularités du bitume, c'est indéniable mais aussi acceptable dans la mesure où l'on est clairement sur une sportive déshabillée.
De son côté, le FLC (débrayable) n’est pas un anti-wheeling, il se contente de gérer le décollement de la roue avant de manière à maximiser la prise de vitesse ; il intervient juste ce qu’il faut pour que le pilote ne soit pas tenté ou contraint de couper les gaz. Encore un élément qui concourt à renforcer la confiance de l’utilisateur; qui s’en plaindra avec un tel rapport poids/puissance ? De l’émotion à profusion et de la maîtrise, telle est la Brutale 1000 RS. Epinglons encore une vivacité étonnante pour une 1000 (le vilebrequin est ultraléger et les arbres à cames sont contrarotatifs), un freinage de superbike avec cornering ABS, un affichage TFT en couleurs et cette impression, dispensée par toute MV, de s’écarter des sentiers battus en chevauchant une monture d'exception.
Au fond, et en dépit de ses performances ou de son caractère moteur, cette Brutale 1000 RS nous rappelle la philosophie du Total Control chère à Honda ; un peu comme s’il s’agissait d’une Japonaise, mais avec la passion et le design en plus (matez un peu la jante arrière!). Un bémol ? Peut-être : son moteur est un peu creux sous les 5000 tours (un creux qui nous semble d'ailleurs un peu plus marqué sur la RS que sur la RR, comme s'il était la conséquence du passage à Euro5), « mais c’est voulu, conclut Brian Gillen, avec une telle puissance, il faut maîtriser le couple dans les bas régimes pour que le pilote garde le contrôle. » Une pure folie donc, cette Brutale 1000 RS, mais réfléchie et conçue pour maximiser le plaisir de son pilote.
Données techniques MV Agusta Brutale 1000 RS
Moteur : quatre-cylindres en ligne, 4-temps, refroidissement liquide, distribution par double arbre à cames en tête, 16 soupapes, Euro 5
Cylindrée : 998 cm3
Alésage x course : 79 x 50.9 mm
Rapport volumétrique : 13.4:1
Puissance : 208 ch (153 kW) à 13000rpm
Couple : 116,5 Nm à 11000rpm
Alimentation : injection électronique avec 4 injecteurs inférieurs Mikuni et 4 supérieurs Magneti Marelli, accélérateur ride-by-wire, contrôle de traction sur 8 niveau, contrôle de wheelie, centrale inertielle
Embrayage : multidisque en bain d'huile avec limiteur de couple, shifter électronique up & down
Transmission finale : par chaine, rapport 15/41
Boite de vitesses : type cassette, six rapports, prise constante
Cadre : treillis tubulaire en acier CrMo, plaques latérales en alliage d'aluminium, monobras oscillant en alliage d'aluminium, hauteur du pivot réglable
Suspension avant : fourche inversée Marzocchi de 50 mm réglable en compression, détente et précharge, débattement 120 mm
Suspension arrière : amortisseur progressif Sachs réglable en précharge, détente et compression, débattement 120 mm
Amortisseur de direction : Öhlins EC avec réglage électronique
Frein avant : Double disque flottant de 320 mm, étrier radial monobloc Brembo Stylema à 4 pistons
Frein arrière : disque en acier de 220 mm, étrier Brembo à deux pistons
Pneu avant : 120/70-ZR17 M/C (58W)
Pneu arrière : 200/55-ZR17 M/C (78W)
Empattement : 1.415 mm
Longueur : 2.080 mm
Largeur : 805 mm
Hauteur de selle : 845 mm
Garde au sol : 141 mm
Poids à sec : 186 kg
Réservoir de carburant : 16 litres (consommation moyenne mesurée: 7,2L/100km)