Depuis son avènement en 2004, la Fireblade 1000 souscrit à la philosophie, chère à Honda, du Total Control. Bien qu'elle s'en réclame également, la version 2017 marque une rupture avec les millésimes précédents. Rencontre avec une CBR radicalisée.
Souvenez-vous de l'époque -pas si lointaine- où le renouvellement d'un modèle inspiré par la course était biennal. En ces temps où les sportives fantasmatiques étaient les reines de l'asphalte, les Superbikes trustaient le podium des ventes. Mais il fallait bien qu'un jour s'essouffle la course aux armements: les trails, les roadsters et le courant vintage ont pris le relai alors qu'un nouveau public d'automobilistes lassés de la congestion du trafic réclamaient des deux-roues rationnels pour effectuer leur transhumance quotidienne vers leur lieu de travail. La répression au zénith, le prix de l'essence et la radicalité exacerbée des modèles ont fini le travail. Désormais, les sportives seraient presque devenues un produit de niche; une vitrine technologique qui se doit de promouvoir l'image d'une marque sans pour autant atteindre des chiffres de vente considérables.
Et si vous ajoutez à ce contexte déjà délétère le nouveau calcul de la taxe de mise en circulation propre à la Belgique, vous devez en outre être disposé à ajouter 2478€ au prix d'achat coquet de votre hypersportive. Autant dire que ces motos se vendent encore très peu à des particuliers... Vu comme cela, on comprend mieux pourquoi Honda avait confiné sa Fireblade à des évolutions timides depuis 2008. Mais pour 2017, le premier constructeur mondial prend une trajectoire plus tendue vers le point de corde: la nouvelle CBR1000RR présente 90% de nouvelles pièces par rapport à la dernière évolution datant de 2012. En voie évidente de radicalisation, la Fireblade engage une guerre sainte contre le politiquement correct.
Affûtée comme une lame
11cv de plus (192) et 15kg de moins (196 avec les pleins)! Des chiffres qui, à eux seuls, ont de quoi inquiéter une concurrence qui avait résolument pris les devants; qu'on pense à la ZX10R, à la R1, à la Panigale et surtout à la S1000RR. Ceci dit, l'on sait chez Honda que des chiffres ne sont rien sans technologie embarquée pour les maîtriser. Car l'approche du Total Control se doit d'être aussi Human friendly et, jusqu'ici, les assistances électroniques faisaient défaut à la grosse CBR. Ce n'était certes pas vraiment un problème parce qu'une Honda est prévenante par nature, mais il était temps que le numéro un mondial fasse étalage de son savoir-faire. Il l'a si bien fait d'ailleurs qu'il propose pas moins de trois versions de sa Superbike: la CBR1000RR standard que nous testons ici (18900€), la version SP (23599€ avec suspensions Öhlins semi-actives, quick shifter, nouvel ABS, etc) et la configuration SP2 (sur commande, homologuée route mais pensée pour la course).
Alors, que reçoit-on pour ses 18900€?
D’abord, une plastique revue en profondeur. C’en est fait cette fois des courbes apparues en 2008 : la nouvelle CBR s’habille léger et acéré. Esthétiquement, c’est d’ailleurs une réussite. Par contre, la compacité de la machine est telle que les plus grands auront du mal à s’y caser. C’est simple, garée à côté d’une… Hyosung GT 125, la Fireblade affichait pratiquement les mêmes volumes que la Coréenne (!), et notre CBR929RR semble « énorme » en comparaison.
Le passage à un éclairage entièrement composé de diodes très efficaces n’étonnera personne, pas plus que l’embrayage à glissement limité qui vient lisser les grosses rétrogradations ; par contre, le nouveau tableau de bord TFT en couleurs surprend : très lumineux et contrasté, il reste lisible malgré la petite taille de certaines indications et il passe automatiquement du mode jour au mode nuit au gré de la luminosité ambiante. Comme en outre, il se révèle très précis, c’est un incontestable plus pour la moto. A l’instar d’ailleurs de la gestion très intuitive de ses multiples affichages en fonction des solutions électroniques retenues par le pilote.
Deux commandes au commodo droit permettent de tout gérer sans se poser de question : en termes de simplicité et de convivialité, Honda fait mouche. On n’a jamais ici l’impression d’être perdu dans les menus comme cela peut être le cas sur une Panigale ou sur une R1.
Quant à l’électronique, justement, elle cumule désormais tout ce que peuvent offrir les concurrentes de la CBR. La centrale IMU travaille évidemment selon les 5 axes et tient compte des multiples positions possibles de la moto en intervenant sur l’anti-patinage, sur l’ABS, sur le RLC (Rear Lift Control) gérant les délestages de l’arrière au freinage et sur l’anti-wheeling. Comme de juste, les cartographies moteur prédéfinies –elles sont trois- façonnent l’arrivée de la puissance en tenant compte des conditions extérieures et Honda a tenu à ce qu’elles tiennent compte également du traction control (c’est courant) et du frein moteur, ça c’est original. Les trois modes retenus ont effectivement une incidence réelle sur le comportement moteur et, pour les perfectionnistes, il est également loisible au pilote de tout paramétrer lui-même au regard de ses préférences ou du tracé du circuit sur lequel il évolue, par exemple. On dépasse ici largement le cadre du gadget, car toutes ces configurations possibles viennent effectivement modifier la personnalité de la CBR. Au niveau moteur aussi, l’upgrade est sensible : le taux ce compression augmente, le calage de la distribution est optimisé et le régime maxi gagne 750rpm pour culminer désormais à 13.000. Ceci posé, une Honda reste une Honda et la Fireblade jouit d’une mécanique assez policée pour ne pas surclasser les aptitudes de son pilote. C’est du reste dans cette perspective du human friendly que la marque ailée n’a pas voulu souscrire à la surenchère de puissance : avec ses 192cv revendiqués, la nouvelle CBR resterait presque raisonnable.
Radicalisation : à tort ou à raison ?
Le moteur de cette Fireblade porte indéniablement l’estampille Honda : très puissant, mais civilisé ; disponible, mais sans brutalité aucune. En pratique, il est certes souple et accepte de repartir très bas sur ses 6 rapports, mais il ne dispense vraiment sa puissance qu’à partir de 4000rpm pour ensuite allumer la postcombustion au seuil des 6000rpm. Voilà qui vous laisse de quoi gérer des conditions de circulation difficiles ou des revêtements peu adhérents sans crainte de perte de contrôle. Il est vrai que l’anti-patinage et les cartographies veillent au grain, mais savoir qu’on peut aussi conduire la RR en mode sagesse est rassurant. Lorsqu’elle atteint 6000rpm, par contre, le registre change, la sonorité d’admission se fait rageuse et la poussée augmente de façon exponentielle. La faculté d’accélération de la CBR est bluffante, peut-être un peu moins sensationnelle que celle de la nouvelle Suzuki GSXR, mais pas moins efficiente. Dans ces conditions, vous imaginez aisément qu’exploiter ce potentiel sur route serait rien moins que très imprudent, si tant est que ce soit possible. Par contre, sur une piste –à Mettet, en l’occurrence-, on profite à point de ce potentiel pour autant qu’on prenne garde de ne pas redescendre sous 4000 tours sous peine d’une reprise difficile en sortie de courbe. Au fond, c’est un peu comme si on pilotait cette 1000 à la manière d’une 600 ; et là, les performances et les chronos d’acier sont au rendez-vous.
De retour sur les routes, il est un autre aspect où la nouvelle Fireblade se fait apprécier : le passage à la norme Euro4 a poussé l’ingénierie à travailler sur la consommation ; ce qui permettait aussi de limiter l’emport de carburant à 16L, histoire de rendre la machine plus compacte et plus légère. Par rapport à notre 929RR et aux générations de 1000RR, le gain est sensible : la nouveauté nous a crédités d’une moyenne totale de 7L/100km en ayant fait de la piste et pratiqué les accélérations de bourrin à tous crins. Si on veut être raisonnable, en limitant les envolées et en ne dépassant pas 145km/h compteur sur autoroute, nous sommes descendus à 5,6L/100km ; des chiffres remarquables en regard de la puissance disponible. Et carrément deux litres de moins que la 929…
A l’inverse, la radicalisation n’est aucunement bénéfique en usage routier : un pilote de grande taille aura de la peine à trouver sa place sur cette nouvelle RR. Dès le mètre quatre-vingts, vous vous sentirez à l’étroit : la bulle ne protège que votre nombril, les pose-pieds sont décidément très loin du sol (3,5cm plus haut que sur la 929 !) et les poignets sont cassés comme ils peuvent l’être sur une Italienne. Une position contraignante donc et qui se détériore encore pour un éventuel passager. De son côté, la selle est dure et les suspensions le sont tout autant. Pour vous donner une idée, un pilote de plus de 100kg s’installe au guidon et… la Fireblade ne se tasse même pas ! Dans ces conditions, inutile de vous dire que nos routes vous font profiter de toutes leurs irrégularités. D’autant plus d’ailleurs que, si la fourche et le combiné arrière amortissent plutôt correctement, l’hydraulique de détente est difficile à freiner, ce qui rend la machine un peu trop bondissante sur les routes torturées. Quand on sait que les voiries wallonnes sont officiellement les plus mauvaises d’Europe –c’est le Ministre Carlo Di Antonio qui l’affirme-, on n’est pas forcément heureux de rouler en CBR parce qu’objectivement, ce n’est pas une sinécure de transformer en routière une Superbike si affûtée.
Ceci dit, lorsque la chaussée est plane, le tableau devient tout autre. Sur une route en bon état ou sur un circuit, la position racing qui vous bascule sur l'avant se fait la garante d'une lecture précise et fine du tracé suivi. La maniabilité de l'ensemble fait le reste et la Fireblade se comporte (presque) comme une 600 peut le faire. "Presque" parce que l'inertie d'une 1000, due essentiellement à la masse des pièces en mouvement dans ses entrailles mécanisées, est autre que celle d'une Supersport. Ici, on improvisera moins, mais la précision et la stabilité de la machine sont au plus haut niveau de ce qu'on peut attendre d'une Superbike. On connaît la métaphore classique consistant à dire qu'une moto va là où votre regard l'entraîne; eh bien c'est exactement l'impression que laisse cette CBR1000RR. Que ce soit en négociant un giratoire ou dans le "Corkscrew" de Mettet. Vraiment, sur une surface de qualité correcte, on ne voit pas quelle machine pourrait faire de l'ombre à la nouvelle Honda en termes de facilité et d'efficacité car son agilité est au-dessus du lot.
Ceci étant, le tableau reste valorisant sur des routes tourmentées, on note juste dans ce cas que l'avant très léger peut conduire à une certaine imprécision. Rien de sérieux, on corrige vite au guidon ou avec le corps; mais peut-être que l'absence d'un amortisseur de direction (il était électronique ces dernières années) pourrait expliquer ce flou ténu. Qu'à cela ne tienne, d'une manière générale, cette Fireblade revue et radicalisée se comporte avec énormément de naturel: la boîte est ultra-précise, les transmissions sont -comme toujours chez Honda- d'une douceur exemplaire, le moteur est civilisé dans sa démesure et le comportement ne surprend jamais.
Pour les puristes que rebute une commande de gaz électronique (ride by wire), les concepteurs de la dernière CBR ont même pensé à nantir leur dernière-née d'une résistance à l'accélération qui singe la course morte d'une traditionnelle commande câblée. Accélérer n'étant rien sans freiner, terminons cet essai en nous penchant sur la décélération de la Fireblade 2017. Pour faire court, comme un freinage doit l'être, la CBR freine d'enfer sur piste et... déçoit un tout petit peu sur route. Qu'est-ce à dire? Sur un circuit, lorsqu'on est à la limite, une attaque sans brutalité permet de doser à merveille sa rétrogradation (merci aussi à l'embrayage anti-dribble) et de s'appuyer longuement sur l'endurance du système. Par contre, sur une route, on aurait aimé davantage de mordant à l'attaque du levier, comme sur un freinage d'urgence par exemple. Bien sûr, comme le dit le dossier de presse, on y gagne en facilité mais nous estimons qu'on y perd vraisemblablement un peu en efficacité.
Into the Pit
C'est le regretté Nicky Hayden qui présenta à la presse la nouvelle CBR1000RR à Portimao, en mars dernier. Le pilote se montrait enthousiaste et avide d'entamer une nouvelle saison -sa dernière, malheureusement- au guidon d'une machine si prometteuse et enfin au niveau de la concurrence. On sait à présent que la Fireblade reste loin du podium en Mondial Superbike. Mais ne vous y trompez pas: cela s'explique par le manque d'engagement et d'investissement du HRC (Honda Racing Corporation) dans ce championnat puisqu'il est de notoriété publique que le premier constructeur mondial préfère mettre le paquet sur le MotoGP et Marc Marquez. Avec un sponsor de l'envergure de Repsol, il est évident que les moyens du team MotoGP ne sont pas les mêmes que ceux des Hollandais de Ten Kate (Red Bull est encore un peu frileux). Dès que l'on sort du cadre strict de la course, il nous semble que, pour un usage quotidien, rien n'est vraiment mieux qu'une CBR. En tous cas, la Fireblade réussit brillamment son retour aux affaires!