Le décalage pour philosophie
Remise sur les rails grâce à une gamme qui évolue sans discontinuer, Kawasaki se devait de réinvestir le créneau vendeur des gros trails avec un produit original, puisque la première mouture de la Versys -très critiquée esthétiquement- s'est très peu vendue depuis 2012. C’est fait, et la nouvelle Versys n’a plus à rougir de son accastillage. Cette machine décalée que la marque classe dans les trails, alors même que ses concessionnaires refusent de la ranger dans cette catégorie, a cette fois de quoi assurer son succès commercial.
A découvrir la nouvelle Versys (dans la version Tourer Plus en ce qui nous concerne), dont la ligne atteint cette fois un consensus, on discerne pourtant les impératifs de réduction de coûts qui ont présidé à sa conception : on épargne sur le design en l’apparentant à la 650, on économise sur la motorisation en la fondant sur celle du roadster Z1000 et on grappille sur l’équipement en important l’électronique embarquée présente sur d’autres modèles. Cet assemblage, qui pourrait sembler hétéroclite de prime abord, aboutit pourtant à une moto qui constitue une alternative pertinente aux locomotives du créneau, BMW GS en tête. En tous cas, Kawasaki a cette fois multiplié les petites nouveautés (béquille centrale, embrayage assisté, fourche à cartouche, etc) se souvenant évidemment des affres commerciales vécues par la première grosse Versys.
Statiquement vôtre
Versys, pour Versatile System, laisse à penser que la Kawa est une sorte de MPV (Multi Purpose Vehicle) à deux roues, ce qui expliquerait que les concessionnaires regimbent à la définir comme un trail. Certes, on pourra l’emmener sur des pistes roulantes et peut-être même dans des sentiers pas trop gras, mais ne la confondez pas avec les baroudeuses. En réalité, la Versys est essentiellement un trail routier qui a du caractère et, s’il fallait lui trouver une concurrente réelle, ce serait sans doute du côté de la Triumph Tiger 1050 qu’il faudrait chercher, et encore tant la Kawa sait se montrer polyvalente voire carrément sportive. De toutes façons, les études marketing des constructeurs montrent que c’est bel et bien sur le bitume que les trails de grosse cylindrée parcourent 90% de leurs kilomètres…
Lorsqu’on s’approche de la Versys, on est frappé par sa hauteur et, en effet, ne comptez pas poser vos pieds au sol si vous mesurez moins d’1m80. En plus, le carter droit est rudement proéminent et menacera souvent de chauffer la guibole plus que de raison. Par contre au guidon, la position offerte est naturelle et plus reposante encore cette année grâce à un guidon au cintre moins marqué. Comme sur les GTR et ZZR, le commodo gauche concentre intelligemment toutes les fonctions des aides électroniques. Sur la nouvelle instrumentation, on retrouve tout ce qui se fait de bien de nos jours, grâce notamment aux fonctions ordinateur de bord. Il faudra juste s’habituer à une consommation moyenne exprimée en kilomètres par litre et à l’indicateur de rapport engagé dont l'emplacement n'est pas des plus naturels et -plus grave- dont l'affichage est souvent en retard... A part quelques gainages un peu cheap, la finition est aux standards nippons et, finalement, nous trouvons la nouvelle Versys bien dans l'air du temps, même si sa ligne est plus consensuelle que précédemment. Disons que le gros radiateur (heureusement caréné) et le silencieux toujours peu avenant à notre goût ne rehaussent pas forcément la note esthétique, mais c'est sans gravité, d'autant que la plastique générale de la moto a considérablement évolué vers plus de sportivité.
Donc il n’y a vraiment rien de spécial à reprocher à cette grosse Versys bien typée et bien dotée grâce à son électronique embarquée, à sa sellerie confortable ou à ses châssis et freins "de sportive". Pour les amateurs, signalons aussi la présence au catalogue d’une version Grand Tourer de la Versys (avec en outre top case, patins de protection et prise 12V). En entrée de gamme, deux versions moins équipées existent aussi, la Versys "standard" et la Tourer. Mais nous estimons que les deux versions supérieures sont les plus rationnelles car la Versys s’y entend pour vous emmener loin et, de préférence, en couple. Le dossier de presse prétend d'ailleurs que la nouvelle sellerie permettra à un couple d'effectuer 1000km sans fatigue aucune. Le chiffre peut être optimiste, il n'en demeure pas moins que cette sellerie nous a donné entière satisfaction et s'est fait totalement oublier sur une étape de 300 bornes. A noter également que la passagère apprécie le revêtement antidérapant et le fait que ce dernier remonte vers l'avant:"On ne glisse jamais, même sur des freinages appuyés, c'est super!"
Et en dynamique?
Au fond, le plus étonnant dans cette Kawa, c’est quand on met le contact, car il y a presque quelque chose d’antithétique à entendre le feulement caractéristique d’un gros 4-cylindres alors qu’on est juché sur un trail ! Mais on s’y fait très vite car l’agrément est bel et bien au rendez-vous, d’autant que la Versys sait fort bien masquer son poids dès qu’elle est en mouvement, et nous dirions même qu'elle le fait encore mieux que la version précédente grâce à la nouvelle fourche. Il est vrai que le moulin laisse filtrer des vibrations sensibles dans les mi-régimes, mais on ne lui en veut pas, car s’il est suffisamment lisse, il n’est pas sans caractère.
Expérience : avant d’ouvrir en grand, on se laisse redescendre "au pas" en… sixième et on met gaz. Résultat ? La Versys repart sans même un hoquet, fait ce qu’elle peut jusqu’à 2000rpm, s’ébroue entre 2000 et 4000rpm et commence alors à pousser velu. Essayez de trouver un trail qui puisse en faire autant. Il n’y en a qu’un, la Honda VFR 1200 X qui est, comme par hasard, un quatre-cylindres. Même un triple britannique aurait du mal à soutenir la comparaison, et on ne vous parle pas des bicylindres...
Vous l’aurez compris, au point de vue de la motorisation, Kawa ne s’est pas fourvoyé, un quatre-cylindres en ligne sur un trail, ça le fait! En outre, le bloc Kawa, même s’il jouit, comme nous le disions précédemment, d’une linéarité qui le rend exploitable, a la bonne idée de distiller aussi des sensations et une poussée vraiment sensible. On le savait grâce à la la Z1000 de la dernière génération, ce moteur peut offrir un concentré de plaisir à son propriétaire.
Nous ne dirions pas que le gain en couple est mesurable sur la Versys par rapport au roadster (en vérité, le trail pousse avec tant d’allant qu’on n’a nullement l’impression d’aller moins vite que sur la Z), mais nous ne dirions pas non plus que la Versys crache ses derniers chevaux avant le roadster. C’est qu’elle envoie du gaz, la grosse, et qu’elle ne se fatigue jamais jusqu’aux abords de la zone rouge. D’ailleurs, vous en connaissez beaucoup des gros trails qui vous affichent 240 au compteur sans donner l’impression de cracher leurs pistons ? La Versys le fait pourtant, et dans ce domaine, sa transmission secondaire par chaîne est une alliée de choix car elle se fait oublier quelle que soit votre manière de solliciter la boîte et la poignée droite. Quoi? Une chaîne sur un trail? Bon, il faut bien convenir que cet organe pourrait s'avérer rédhibitoire pour les gros rouleurs et autres voyageurs... A propos de tension de chaîne, dommage quand même que Kawa ait abandonné ici son chic et pratique système à excentrique pour un dispositif à roue poussée qui vous complique la tâche.
Plaisirs spécifiques
Des performances sans sérénité seraient bien inutiles. Là du moins, la Versys ne fait rien regretter à son propriétaire -ce n'est pas comme pour sa chaîne!- et encore moins à son passager, lequel profite, selon la marque, de la selle la plus confortable de la gamme avec, en outre, de pratiques poignées de maintien faisant aussi office de platine pour les valises latérales. Toutefois, sur de longs trajets autoroutiers, le passager se plaindra d’être fort exposé aux turbulences aérodynamiques en raison de sa position nettement surélevée. La bulle en position haute atténue le phénomène sans que ce soit la panacée. Au moins le nouveau carénage lui évite-t-il de devoir lutter contre le vent qui, sur l'ancienne Versys, avait tendance à sans cesse lui écarter les jambes. Le pilote, lui, ne se plaint de rien de tel, car ce même carénage lui abrite plutôt bien genoux et cuisses. Quant à la bulle, bien que de mensurations réduites, elle se tire honorablement d’affaire lorsqu’elle est en position haute : les bras sont exposés, le casque doit s’accommoder de quelques remous, mais le buste et les épaules sont à l’abri. Tout cela, s’ajoutant à une position naturelle avec des jambes bien dépliées, fait que la Versys pourra vous emmener loin sans fatigue notable.
Neutre et naturelle, la Versys ne révèle aucun mauvais penchant en termes de comportement dynamique. Grosso modo, nous pouvons d’ailleurs dire sans solliciter la réalité qu’elle se conduit comme un gros roadster sportif qui aurait perdu un peu de son glamour mais gagné beaucoup de convivialité. Le moteur est là pour vous ravir grâce à ses montées en régimes infatigables et, en prime, sa sonorité perçue de bon gros cube n’est pas désagréable du tout. Les suspensions retenues, grâce à leur épure privilégiant le confort, ne vous font pas profiter de tous les reliefs routiers, et négocient les plus importants sans que ce soit au détriment de l’efficacité, même si on aurait aimé qu'elles filtrent davantage les grosses compressions; sur ce point, une GS ou une VFR font mieux. La Versys est d’ailleurs une moto bien née à ce point de vue car elle reste maniable, sereine au freinage et particulièrement stable sur l’angle. Elle ne rechigne pas à aller chercher le point de corde, même s’il convient de l’accompagner un peu dans son mouvement. Et la rigidité du châssis retenu fait le reste. De sorte que le bilan dynamique de la nouvelle Kawasaki s’avère flatteur : les légers louvoiements constatés à partir de 180km/h sont un tribut normal qu’elle doit payer à sa géométrie de trail.C’est négligeable et le phénomène ne s’accentue pas avec la vitesse. A l’inverse, on est souvent bluffé par la maestria de la Versys lorsqu’il s’agit d’avaler des courbes très rapidement, même lorsqu’elles ne sont pas des billards, le nouveau châssis s’avère donc parfaitement adapté. Les transmissions sont discrètes avec une boîte relativement douce et précise et un embrayage qui a ce qu’il faut de fermeté et d'assistance pour que toute rétrogradation reste sereine. De leur côté, les freins de la Versys 1000 profitent d’un ABS rassurant mais peu intrusif, comme sur les ZZR ou GTR. On leur reprochera juste un petit manque de mordant à l’attaque du levier.
Selon sa bonne habitude, Kawa gratifie son trail des assistances électroniques désormais chères à la marque, et on se réjouit une fois de plus de l’efficacité et de la simplicité du K-TRC, à n’en pas douter, un des systèmes les plus au point sur le marché actuel. Refaisons brièvement l’état des lieux en la matière… Situé quelque part à mi-chemin entre ceux de la GTR et de la ZX10R, le KTRC (Kawasaki Traction Control) de la Versys est vraiment un joujou extra que l’on a plaisir à sentir fonctionner (à voir aussi, puisqu’il a son voyant au tableau de bord). Le système dispose de 4 positions : off, 1, 2 ou 3, cette dernière étant le niveau le plus intrusif. Couplé à l’ABS efficace, ce KTRC est un plus indéniable, n’en déplaise aux adeptes du classicisme. Quant aux cartographies d'injection retenues (Full ou Low), la seconde ampute la puissance de 25% et lisse un peu l'arrivée du couple; mais, pas d'inquiétude: même dans cette configuration et avec l'antipatinage réglé sur 3, une Versys 1000 reste (largement) supérieure à la Versys 650.
Par conséquent
Telle quelle, la Versys 1000 est un excellent trail routier (il peinera en dehors des sentiers bien balisés) qui charmera son propriétaire par ses performances très élevées et ses prestations dynamiques dignes d’une bonne routière voire d'une sportive. Même s'il s'agit plus d'une évolution que d'une authentique nouveauté, son tarif placé qui n'évolue pas (12599 à 14098€ selon la version), son électronique embarquée, ses aspects pratiques, son côté baroudeur (fantasmé plus que réel), sa consommation rationnelle (autour de 6L/100km en dégainant les 120cv de la cavalerie à tout va) ont tout ce qu’il faut pour satisfaire son propriétaire. Relevons à ce propos que nos relevés de consommation nous montrent que la nouvelle Versys est plus sobre que l'ancienne de près d'un litre aux cent: bien joué Kawa! Pour conclure, vous savez quoi? Un concessionnaire de la marque nous confiait récemment qu'un client potentiel venu essayer la Versys 1000 n'avait quitté son magasin qu'après avoir signé le bon de commande. Détail piquant: ce monsieur était bel et bien le propriétaire d'une BMW R1200GS...