L'emblématique karatéka du jeu Street Fighter a livré son premier combat en 1987; alors qu'il se fait vieux, il cherche des défis à sa mesure. On l'imagine donc désertant les tatamis pour mater l'asphalte au guidon de la seule moto digne de se mesurer à l'icône de la baston: la Ducati Streetfighter V4S.
Un Japonais qui se mesure à une Italienne, voilà une castagne qui pourrait faire date dans le landerneau motocycliste. Et Objectif-Moto s'y est collé pour vous puisqu'en marge de notre essai de la Bolognaise, un de nos consultants, Geoffrey, était convié à la présentation de la Kawasaki Z H2 pour mieux étalonner la Ducati. Votre serviteur, de son côté, a pu essayer brièvement la sulfureuse Brutale 1000RR siglée MV Agusta. De quoi vous donner un panorama complet des trois roadsters les plus démesurés du marché puisqu'ils sont les seuls à cravacher 200cv ou plus. Il fallait bien un Ryu pour les dompter...
Esthétiquement parlant
Alors selon nous, c'est clair: de tous les combattants masculins de Street Fighter, Ryu est le plus séduisant ou le moins repoussant, c'est comme on voudra. Cela tombe bien car nous trouvons aussi que la Ducati est la plus réussie de ce point de vue que l'on sait primordial pour tout motard qui se respecte. En réalité, c'est la Streetfighter dont la ligne nous paraît la plus cohérente avec son agressivité très marquée et tout entière tendue vers la roue avant, ponctuée comme il convient par ses quatre ailettes aérodynamiques à qui elle doit en grande partie son look in(com)parable. On apprécie aussi beaucoup sa partie arrière, empruntée à la Panigale; une des plus réussies de la production actuelle, sans nul doute.
Remarquez, vue de derrière la MV est (très) spectaculaire elle aussi grâce à sa quadruple sortie d'échappement mais, dans l'ensemble, elle "claque" tout de même un peu moins que la Ducati. Quant à la Z H2, il appartient à chacun de se faire son opinion, mais l'esthétique sugomi chère aux mangas commence à dater et ne parvient pas à gommer l'embonpoint de la Kawa comparée aux deux Ritales; et ce tromblon, quelle horreur! Même le Nippon Ryu ne peut le digérer. Ceci dit, on reprochera tout de même à la Ducati le désordre de certains câblages qui font tache, notamment sur son côté droit alors que les deux autres machines offrent des flancs bien plus nets.
Une remarque pour finir sur l'échappement de la Streefighter: s'il est superbement intégré dans sa version d'origine, nous le trouvons nettement moins réussi monté en Akrapovic par exemple alors que l'équipementier slovène facture pourtant sa ligne complète près de 6.000€!
Une question d'équipement
En détaillant les 3 modèles dans les show-rooms, Ryu avait tout de même du mal à les départager. Logique: ces trois vaisseaux amiraux offrent ce qu'il y a de mieux. La première différence qu'il a remarquée a fait saigner son cœur nippon en effet, la Z H2 est la seule des trois à faire l'impasse sur les suspensions électroniques. Cet équipement intelligent peut non seulement s'adapter au profil routier mais offre en outre une facilité totale lorsqu'il faut en modifier les réglages; quelques clics sur les commodos et le tour est joué. Le karatéka peut cependant bomber le torse car la Kawa est la seule supercharged et cette technologie lui confère un caractère et une sonorité uniques. Et puis, elle est tout de même bien moins chère que les Transalpines. A environ 18000€ l'exemplaire, la Z est 4000€ moins chère que la Ducati et... 13000€ moins exigeante que la très exclusive MV Agusta! Encore faut-il préciser que si la Brutale s'affiche volontiers tout compris, les options parfois très chères de la Ducati peuvent faire atteindre des sommets à votre facture.
Grand et lisible Spectaculaire mais petit Sobre comme un Japonais
Pour le reste les trois divas présentent tout ce que la technologie et l'électronique contemporaines peuvent offrir du shifter aux écrans TFT en passant par le traction control et tout un marché aux puces qu'il serait fastidieux d'énumérer ici. Insistons tout de même sur la présence, pour les trois machines, d'un système d'aide au départ comme en MotoGP: en l'occurrence, à l'arrêt, on monte au rupteur, on lâche l'embrayage et le launch control vous évite la mise sur orbite. Effet catapulte et post combustion garanti! On ne l'a pas testé sur la Z H2 parce que les conditions du test ne s'y prêtaient pas, mais sur les deux Italiennes, c'est chose faite: foi de Ryu, dans cet exercice futile mais sensationnel, la MV semble vous en donner un peu plus. C'est probablement dû au fait qu'elle utilise un Front Lift Control et pas un anti-wheeling; la différence, c'est qu'elle permet ainsi un décollage contrôlé de la roue avant qui ajoute à la griserie de l'exercice. Ceci étant, en se soulevant moins, la Duc' grappille peut-être bien quelques centièmes... Tiens, signalons aussi que, à la différence de Ducati, MV et Kawa proposent tous deux une application dédiée permettant des possibilités de paramétrages/réglages de la moto ainsi que les enregistrements de vos itinéraires à partir de votre smartphone. L'application développée par MV exclusivement pour la grosse Brutale nous semble plus fiable et plus performante que celle de Kawa qui est dédiée à plusieurs modèles. Par contre, Ryu constate avec satisfaction que si l'application japonaise est disponible pour Android et iOS, celle de MV Agusta ne tourne que sous le système d'exploitation Apple.
Un dernier point sur lequel Ryu s'est attardé, ce sont les nouveaux écrans TFT. Ce type d'affichage offre des possibilités insoupçonnées pour qui ne les connaît pas encore (la personnalisation, les (sous-)menus à profusion, la couleur, la résolution, ...) et est évidemment appelé à se généraliser à l'avenir. Sur la Ducati, il a l'avantage d'être plus grand que sur ses deux rivales; par contre, il est plus coloré et donc plus séduisant selon nos critères sur la Kawa et sur la MV. Une anecdote pour clore ce chapitre: alors que Ryu était en selle sur la MV, il eut beaucoup de mal à localiser le contacteur. Normal, les ingénieurs de Varèse ont cru bon de le camoufler entre le phare et l'afficheur TFT; inutile de dire que le manœuvrer avec des gants est parfois bien fastidieux. C'est aussi nul que l'absence de jauge à essence sur la Streetfighter!
Confort ou... fort con?
Pour le spartiate Ryu, habitué à la rigueur des combats, il est évident que l'inconfort relatif de ces trois motos n'est pas une donnée pertinente. Serait-elle rédhibitoire pour vous? Il s'agit de roadsters endiablés, pas de GT... Donnée cardinale dans ce contexte, l'absence de protection. Et les trois ne sont pas égales à ce point de vue: celle qui vous fera le plus ressentir la pression du vent, c'est la Streetfighter. Ensuite vient la MV dont les volumes, étonnamment, atténuent un peu les turbulences. La plus "confortable" à ce point de vue est la Z H2 donc l'instrumentation surélevée fait office de mini-bulle.
La Duc' vous expose le plus Plus confortable qu'il n'y paraît L'accessoire qui fait la différence
Au niveau de la position de conduite, c'est pareil: la Kawa présente une posture moins basculée sur l’avant que les deux Italiennes, ce qui n'a rien d'étonnant puisque ces dernières sont extrapolées sur base d'authentiques sportives. D'une manière générale d'ailleurs, la Kawasaki l'emporte en termes de confort et ce parce que c'est aussi celle des trois qui laisse le plus de place à un éventuel passager. On trouve d'ailleurs dans son catalogue d'options des selles confort, un saute-vent et un sac de réservoir qui viennent confirmer l'orientation moins radicale de la Japonaise. Un domaine dans lequel il faut néanmoins souligner l'excellente tenue des Italiennes, c'est le confort de suspensions: sur la Streetfighter comme sur la Brutale, on retrouve une dotation identique, Öhlins haut de gamme, tant à l'avant qu'à l'arrière et l'on sait que le manufacturier suédois s'y entend pour joindre la suavité à l'efficacité. Une chose est sûre cependant, si Ryu veut emmener sa compagne pour un week-end romantique, la Z H2 est la seule alternative raisonnable.
Comportementaliste
C'est à peu près les qualifications qu'il faut pour distinguer les particularités des trois hyper naked à l'usage; le belliqueux Ryu sera-t-il à la hauteur? On sait déjà que l'on a affaire à une routière (la Z H2) et à deux sportives qui embarquent une bonne trentaine de kilos de moins que la Nipponne, mais les différences ne s'arrêtent pas à ce clivage de genres. Outre que la position sur un roadster magnifie les sensations, on a ici affaire à trois moteurs exceptionnels à des degrés divers, qui revendiquent clairement leur place au nirvana des 4-cylindres. Le V4 Ducati se singularise par son caractère qui reste comparable à celui d'un bicylindre, c'est une gageure réussie par l'ingénierie de Bologne et qui mérite son lot de compliments. Le mimétisme est d'ailleurs tel qu'un dispositif met en sommeil les deux cylindres arrière à l'arrêt; il sort alors de l'échappement de la Streetfighter une sonorité de "bi" qui fait parfaitement illusion.
Soit dit en passant, on se demande toujours comment Ducati s'y est pris pour faire homologuer ce bruit-là! Remarquez, cette déconnexion des cylindres arrière est en réalité destinée à juguler les dégagements de chaleur lors des arrêts aux feux ou dans les ralentissements. Et ça marche au moins partiellement, mais la Streetfighter reste quand même de ces machines qui vous "chauffent" copieusement. Normal pour une diva italienne... Ce caractère apparenté à celui d'un bicylindre, on le retrouve aussi dans le relatif manque de souplesse d'un V4 qui n'aime pas trop croiser sous les 3000rpm et qui vous le fait sentir. Ensuite, jusqu'à 7000rpm, on est dans la plage d'utilisation optimale sur route quelle que soit la cartographie choisie: ça pousse velu, un peu comme une Panigale d'antan mais sans trop étirer les bras. Au-delà de 7000rpm, par contre, le caractère et la sonorité changent et on s'en remet à l'électronique pour éviter la satellisation pure et simple. En vérité, cette portion du compte-tours est malaisée à exploiter sur route, mais lorsque les conditions s'y prêtent, le plaisir est au rendez-vous, et il vous grise aussi bien qu’un alcool fort.
Même topo calorifique sur la Kawasaki; les sushi ne sont pas son truc, et vous risquez d'avoir l'entrejambe bien cuit, en ville, dès que la température atteindra 20 degrés; c'est qu'elle envoie, cette mécanique compressée! C'est d'ailleurs ce qui explique en partie le surpoids de la Japonaise: pour supporter les ruades des 200 étalons qui s'y confinent -et dont on affirme chez Kawa qu'ils auraient pu être 300!-, il a fallu développer des carters spécialement renforcés partagés avec la surpuissante H2R. La première chose qui frappe au guidon de la Z H2, c'est le sifflement caractéristique émis par le rotor du compresseur. Cette sonorité typique devient vite addictive et participe grandement à la personnalité mécanique de la grosse Kawa. De nos trois prétendantes, c’est incontestablement celle dont le moteur est le plus disponible, le plus rond et le plus souple. Si vous y ajoutez que le compresseur vient sublimer chaque montée en régime sans la moindre faiblesse, vous obtenez le meilleur bilan mécanique de ce comparatif. Ryu peut exhiber ses biceps, la Z H2 démontre tout le savoir-faire nippon et, singulièrement, celui de Kawasaki.
S’agissant de la MV, elle a un point commun avec la Ducati, c’est qu’elle reste -très relativement !- paresseuse dans les bas régimes. On se souvient que c’était une stratégie voulue par la marque qui désirait ainsi s’assurer que la Brutale ne déborde pas son pilote. Le propulseur de Varèse est sans doute le plus linéaire des trois, mais en faire le perdant du comparatif serait injuste car il se rattrape sur un autre plan ; passé 4000rpm, la faculté d’accélération de la MV Agusta est ahurissante : Superman vous pousse dans le dos avec une vigueur telle qu’au chrono, ce serait peut-être bien la RR qui mettrait ses concurrentes d’accord.
En termes de comportement dynamique, la création de Varèse confirme : elle est la plus vivace des trois, se jouant des virages avec une aisance et un naturel déconcertants qui nous faisait dire, lors de son essai, qu’elle nous rappelait la philosophie du Total Control chère à Honda. C’est finalement ce qui se dégage d’abord de cette MV : le sentiment qu’à son guidon, tout est sous contrôle car elle fait tout de manière maîtrisée. Sauf peut-être la navigation dans ses menus qui nous a semblé la moins conviviale des trois.
Remarquez, que la navigation dans les ressources électroniques de la Z H2 soit moins alambiquée s’explique aussi par le fait que la Kawa est, sur ce point, moins bien nantie que les deux Ritales. Que voulez-vous, il faut bien que l’énorme différence tarifaire se justifie d’une manière ou d’une autre… En vérité, la Kawa donne pleine satisfaction en tout tant qu’on ne la pilote pas trop sportivement. Entendons-nous : piloter la Z H2 peut se faire en toute décontraction ; simplement, ses suspensions moins élaborées, son poids supérieur et sa géométrie plus routière que sportive vous feront rendre les armes un peu plus tôt qu’au guidon des deux autres. Tout comme son freinage qui est loin d’être faible, mais qui ne fait pas appel aux tout derniers étriers Stylema de Brembo qui restent l’apanage de la MV et de la Duc’.
Reste la Streetfighter. Elle est certes redoutable d’efficacité dans l’absolu, mais elle n’atteint pas le niveau qui nous avait tant bluffés l’an dernier au guidon de la Panigale V4 S Corse. Là où la Superbike de Bologne prenait une avance dynamique sur toutes ses concurrentes chasseuses de chronos, la Streetfighter n’y parvient pas ou, à tout le moins, c’est nettement moins évident. En cause ? Vraisemblablement son empattement allongé et son angle de chasse élargi. La Ducati reste maniable, mais elle présente une lourdeur de l’avant qui n’est pas le partage de la Panigale, et le phénomène s’accentue au freinage avec une fourche qui plonge un peu trop et verrouille l’avant. Un dernier point qui nous a fâchés au guidon de la Ducati, c’est son shifter. Alors que les deux comparses alignent des transmissions au-dessus de tout soupçon, notre Ducati d’essai souffrait de tels à-coups de transmission et de tant de faux points morts que nous avons simplement renoncé à l’utiliser. On a beau nous dire chez Ducati que c’est anormal, nous ne pouvons que relater ici ce qu’il en était. Il semblerait, d’après certains confrères qui ont connu le même problème, que toutes les Streetfighter ne soient pas égales au point de vue de leurs transmissions.
Notez la signature lumineuse La MV n'est pas avare en carbone Elle "turbine" la Kawa!
Retour dans le paddock
Rien de tel pour que Ryu tire ses conclusions que de remiser les trois prétendantes face à lui. Pour laquelle des trois sortirait-il sa carte de crédit ? Si l’on s’en tient à l’aspect tarifaire, la Z H2 remporte la mise sans coup férir. Ses aspects plus routiers ont aussi de quoi séduire le plus grand nombre ; c’est bien une Japonaise. La Sreetfighter mérite-t-elle qu’on dépense pour elle 4000€ de plus ? Oui pour sa plastique hautement désirable et pour son rapport poids/puissance, mais ce sont là des arguments discutables. A contrario, ce qu’elle perd sur sa génitrice Panigale est factuel et ne laisse pas de décevoir légèrement. Objectivement, la MV Agusta Brutale 1000 RR est sans doute celle qui nous a le plus impressionnés car c’est la seule à qui on a bien du mal à reprocher quelque chose. De là, Ryu est prêt à craquer pour la belle de Varèse quand il se rappelle son prix ; l’exclusivité justifie-t-elle un tarif de 31500€ ? Il appartiendra à chacun de répondre à cette interrogation existentielle, mais en dépit de toutes ses qualités, nous trouvons le prix de la MV sinon rédhibitoire du moins difficile à justifier. De là, la Streetfighter paraît presque démocratique mais attention aux options comme nous le disions plus haut.
Ducati Streetfighter V4S - Données techniques
Moteur
Type : 4 cylindres en V à 90° Desmosedici Stradale à distribution desmodromique, 4T, 4 soupapes par cylindre, refroidissement liquide. Cylindrée : 1 103 cm3. Alésage x course : 81x 53,5 mm. Rapport volumétrique : 14. 0 : 1. Puissance : 153 kW (208 CV) à 12 750 tr/min. Couple : 123 Nm à 11 500 tr/min. Alimentation : par injection électronique. Embrayage : multidisque en bain d'huile, assisté et antidribble. Boîte de vitesse : 6 rapports, secondée par un shifter à la montée et à la descente DQS EVO 2. Transmission finale : par chaîne.
Partie cycle
Type : cadre monocoque et monobras en aluminium. Suspension avant : fourche inversée Öhlins NIX30, réglable en détente, compression et précharge, débattement 120 mm. Suspension arrière : amortisseur Öhlins TTX36, réglable en détente, en compression et en pré charge, débattement 130 mm. Frein avant : 2 disques semi-flottants de diam. 320 mm, étriers radiaux Brembo Monobloc Stylema à 4 pistons. Frein arrière : 1 disque de diam. 245 mm, étrier 2 pistons. ABS en courbe EVO.
Dimensions
Roues Marchesni en aluminium forgé : 120/70 ZR17 à l'avant, 200/60 ZR17 à l'arrière. Empattement : 1 488 mm. Hauteur de selle : 845 mm. Poids : 199 kg tous pleins faits. Angle de chasse : 24,5°. Capacité du réservoir : 16 litres.