Mature et convaincante
15 ans déjà que la FJR bataille avec la concurrence bavaroise dans le créneau GT. Avec une philosophie bien à elle, la Yamaha affiche un beau palmarès commercial (100.000 ventes à l’échelle mondiale). A l’heure où il s’en écoule un peu moins, la marque aux diapasons propose sa cinquième génération de FJR avec pour objectif l’éméritat.
Cette philosophie inhérente à la GT Yamaha est faite de confort et de sportivité. N’oublions pas que son moulin originel était extrapolé de l’increvable FJ 1200, une sport/GT qui faisait référence voici trente ans. En 2001, le bloc FJ retravaillé prend place dans un châssis Deltabox inspiré de celui des séries R ; la machine se pare du freinage des R1 et R6, rien d’étonnant dès lors à ce que la nouveauté soit baptisée FJR, avec un « R » largement sportif dans son patronyme… En y adjoignant de la protection (bulle réglable dès la première génération) et des aspects pratiques (bagagerie, poignées chauffantes), Yamaha fit de sa nouvelle GT un créneau à elle seule. En 2003, la FJR reçut l’ABS avant d’accueillir un nouveau châssis et un freinage ABS combiné en 2006. En 2009 apparaît un embrayage renforcé et 2013 marque une refonte en profondeur à la fois esthétique et technique (suspensions à réglage électronique, cruise control et multiples améliorations du châssis).
Il est vrai qu’au premier coup d’œil, distinguer la quatrième génération (2013) de l’actuelle relève de la gageure, si ce n’est grâce aux coloris. Sur ce point, saluons d’emblée le choix des designers : le coloris gris mat, non content de particulariser cette version 2016, lui donne vraiment une allure de vaisseau spatial encore renforcée par le dessin des feux LED. La couleur de notre machine d’essai a du reste été plébiscitée par tous les observateurs, y-compris par deux motards de la Police fédérale croisés sur une station service et par ailleurs très désireux de savoir ce que donnait le passage à une boîte 6.
Si cette boîte de vitesses est évidemment LA grande évolution du millésime actuel et a une influence certaine sur son agrément de conduite, elle n’est pas la seule. On note encore :
- optiques et clignotants redessinés et intégralement équipés de LED ;
- homologation moteur Euro4 ;
- embrayage anti-dribble avec commande assistée ;
- éclairage adaptatif à LED ;
- tableau de bord légèrement modifié et traité antireflets ;
- garde-boue avant redessiné ;
- pré-équipement pour système de vestes airbag Dainese D-Air.
Les râleurs patentés diront qu’il n’y a peut-être pas là de quoi crier à la nouveauté marquante, et pourtant…
Une vraie nouveauté
Comme nous le disions à ces policiers, la sixième vitesse apporte –enfin !- infiniment plus à la FJR qu’un régime moteur plus faible à vitesse égale en sixième. C’est sur toute sa large plage d’utilisation que la Yamaha progresse en agrément, allant jusqu’à faire regretter de ne pas avoir embarqué plus tôt ce rapport supplémentaire. Notez que Yamaha a eu l’intelligence de conserver les carters existants en réduisant la largeur des pignons pour accueillir les pignons supplémentaires desservant le dernier rapport ; c’était un bon moyen d’éviter l’inflation tarifaire. Dans sa nouvelle configuration de transmission, la FJR héberge deux premiers rapports plus longs que précédemment et, avec 146cv et 136Nm de couple, cela s’avère judicieux puisque la belle ne demande qu’à prendre des tours. Une troisième inchangée conduit à une quatre et une cinq plus courtes, ce qui est bien pour profiter de reprises en hausse sur le gras du couple ; tandis que la six, faisant office d’overdrive maximisant confort et consommation, s’avère naturellement plus longue que ne l’était la cinq des générations antérieures. Eh bien sachez-le, le propulseur de la FJR ne nous avait jamais autant séduits sur les quatre générations précédentes !
En mode Sport, ce moteur très élastique vous gratifie d’une linéarité qui privilégie l’efficacité mais sans fadeur et avec, au contraire, une vigueur bien présente dès les premiers tours de roues jusqu’à sa zone rouge. On sent bien un regain d’énergie passé la barre de 5000rpm, mais voilà en gros un moteur qui tracte avec force sur tous les rapports et à tous les régimes. Un must sur une GT aux prétentions sportives, et incontestablement quelque chose de neuf sur la planète FJR. Signalons pour l’exhaustivité de cet essai qu’en mode Touring –la seconde cartographie disponible-, la puissance limitée et lissée amène la FJR a se conduire comme notre vieille XJ 900 Diversion : à réserver aux revêtements piégeux et aux périodes de gros temps, comme dirait un marin. N’importe : pour fêter un quinzième anniversaire à ce point débridé, c’est bien joué les Bridés !
Aux commandes, on retrouve les standards FJR avec un petit appui sur les poignets et des jambes légèrement repliées, autant de garants d’une position dynamique, avide de lire le profil routier en s’appuyant sur un châssis qui, sans être aussi rigide que les dernières productions (KTM Superduke GT en tête), a tout ce qu’il faut pour maîtriser la route. Pour ce faire, on se souviendra néanmoins que la FJR n’a jamais été un modèle de vivacité en raison de son train avant un peu lourd. Ceci posé, il faut reconnaître que la grosse Yamaha reste un modèle de neutralité et que sa stabilité peut (très) difficilement mécontenter son propriétaire.
L’instrumentation très complète reste d’une sobriété qui confine à la tristesse même si sa présentation rehausse l’impression de qualité perçue. On retrouve ici –comme sur la Super Ténéré- des menus intuitifs, et paramétrables suivant ses préférences personnelles, commandés au commodo gauche. Les commodos, parlons-en, sont surpeuplés et font un peu l’impasse sur l’ergonomie : attendez-vous à vous emmêler les pouces et les index plus d’une fois au début, sans compter la difficulté d’aller chercher la commande de warning avec de gros gants… Et puis, pourquoi ne pas prévoir un éclairage des commandes périphériques ? Avec le nombre de boutons présents, ce ne serait certes pas superfétatoire.
La selle, aisément réglable sans outil sur deux positions, propose une assise ferme qui ne nuit pas au confort mais favorise un pilotage actif, une preuve supplémentaire que la vieille FJ est bien une R, désormais. De son côté, la bulle réglable joue à la fois sur les deux terrains : sportive en position basse, elle aère copieusement le pilote durant les jours chauds ; résolument GT en position haute, elle mettra à l’abri jusqu’aux plus grands d’entre nous. Précisons que le passager profite lui aussi de la protection offerte par la bulle et qu’il apprécie néanmoins une position surélevée sans excès. De retour à l’avant, le pilote profite de poignées chauffantes plus efficaces que la moyenne et réglables sur trois positions, dont la troisième chauffe suffisamment pour prendre soin de vos mains même lorsqu’il gèle. Sur la gauche des retours de carénage, un rangement héberge une prise 12 volts et accueillera quelques petits effets, tels que bloque-disque, portable ou portefeuille. Pratique, cet espace se verrouille automatiquement dès que le contact est coupé. N’épiloguons pas sur le cruise control toujours très pratique dans certaines circonstances, mais soulignons que quelques-unes des fonctions de l’ordinateur de bord manquent de précision. Ainsi, et comme nous l’avions déjà constaté sur la Super Ténéré, le calcul de consommation moyenne se révèle optimiste : il nous affichait 6L/100km avalés à bonne allure et souvent en duo, alors que nos calculs à la pompe avaient régulièrement pour verdict 0,5L supplémentaire. Heureusement, le calcul d’autonomie restante et, lui, exempt de tout reproche.
Dynamiquement canon
Si l’on se souvient qu’en grec ancien, le mot « canon » désignait quelqu’un ou quelque chose susceptible d’être pris pour modèle, on peut affirmer que c’est l’apanage de ce nouveau millésime de FJR. Après son moteur difficilement critiquable, son freinage combiné est du même acabit et met l’accent sur la progressivité plutôt que sur la puissance pure. S’agissant des assistances, ABS et antipatinage (simple puisqu’il est ON ou OFF) se signalent tous deux par leur faible ingérence dans les décisions du pilote, et c’est tant mieux. De leur côté, les suspensions pilotées électroniquement sont un atout sur une GT dont la charge peut fortement varier entre deux sorties suivant qu’on est seul, à deux, avec ou sans bagages. Tout cela se paramètre du bout des doigts pourvu que l’on soit au point mort. La commande d’embrayage, désormais assistée, fait elle aussi référence en termes de suavité.
Quelques mots sur les feux LED et sur l’éclairage adaptatif permettront de terminer cet essai sur des constatations pertinentes. Les feux à LED dispensent un éclairage d’une puissance saisissante en plein phare et d’une intensité lumineuse sans pareille en feu de croisement ; même un kit xénon reste à la traîne en comparaison. Un appel de phare dans un embouteillage –par temps sombre ou de nuit, cela va de soi- et c’est tout une file de voitures qui s’écarte pour vous laisser le passage : magique ! Quant à l’éclairage adaptatif, Yamaha y vient après BMW et KTM. En l’occurrence, trois LED spécifiques viennent coiffer chacune des optiques principales et s’éclairent l’une après l’autre en fonction de l’inclinaison de la moto. En théorie, c’est très pratique pour éclairer le virage ou la direction que l’on prend. En pratique cependant, la Yamaha reste bien en deçà du résultat obtenu sur la KTM Superduke GT car, dans le cas de la FJR, les LED on tendance à éclairer une portion de route trop en avant et trop excentrée, de sorte qu’au total, la plus-value apportée par le système reste limitée. Cela reste cependant un avantage sur les routes peu ou pas éclairées.
Ne me quitte pas
Quoi qu’il en soit de tout cela, on restitue à regret la nouvelle FJR et, dans notre cas, c’est une constatation qui prend tout son sens car la grosse Yamaha avait eu, jusque-là, de la peine à supplanter dans notre cœur l’excellente ouvrière qu’est la 900 Diversion… Jamais la FJR n’a été aussi aboutie, aussi polyvalente, aussi efficace, aussi confortable. Pour un prix qui, selon les critères actuels, reste contenu (de l’ordre de 19.000€ ; 1000€ de plus pour une version AS semi-automatique), la Yamaha atteint l’éméritat. Pour elle, 15 ans, c’est l’âge de raison.