Nous revenons d'un périple d'un millier de kilomètres au guidon de la XSR900 corrigée l'an dernier pour épouser la norme Euro4 et pour lisser les quelques défauts relevés sur les premières MT-09. Confinant à la philosophie, notre conclusion est claire: il n'y a ni hasard ni transcendance, juste des causes et des conséquences...
Pour preuve de cette affirmation, on arguera déjà que le succès commercial des MT et des Tracer s'explique largement pas la personnalité exubérante de leur moteur à 3 cylindres qui parvient depuis leur lancement à masquer certaines imperfections comme les à-coups de transmission. L'histoire du constructeur aux trois diapasons nous enseigne quant à elle que cette architecture moteur n'est pas issue du néant et l’objectivité nous incite naturellement à vous rappeler que les constructeurs européens ne sont pas les seuls à avoir exploré les voies de la trithérapie : de 1976 à 1981, bien longtemps avant que Triumph ne revienne sur le marché, Yamaha commercialisa les XS750 et XS850, des machines qui se firent rapidement une réputation de fiabilité et de médication contre l’ennui. D'autre part, comme des quatre constructeurs nippons, Yamaha est celui dont le chiffre d'affaires est le plus tributaire des résultats de sa branche "2-roues", rien d'étonnant à ce que la firme d'Iwata décline sa plate-forme 3-cylindres en une version supplémentaire puisqu'elle se vend bien. Il s'agit même de deux versions, si l'on prend en considération la sculpturale déclinaison Abarth de cette XSR. Certes, le succès commercial est fluctuant et on pourrait ne considérer cette XSR que comme une évolution contre nature d'un roadster se voulant agressif (la MT-09 est censée illustrer The dark side of Japan, ne l'oublions pas!) Pourtant, en revoyant l'ergonomie due à un réservoir allongé qui engendre une position plus en appui sur les poignets et en y adjoignant quelques accessoires bien pensés, voilà une XSR qui peut se targuer d'une place dans le panthéon actuel des néo-rétros.
Moderne et esthétiquement réussie
Si l'essentiel des différences d'avec une MT se concentre sur le bas de la machine, la XSR s'affirme pourtant comme une machine valorisante et réussie. Les phares, l'instrumentation, le guidon, la sellerie, le petit saute-vent optionnel de notre machine d'essai, l'habillage du réservoir, autant d'éléments conférant à la XSR une plastique toute personnelle. On sera moins élogieux à propos du collecteur d'échappement (une hernie sous le moteur!) ou des boîtes fixées à l'avant du cadre et abritant entre autres les fusibles mais, globalement, le passage de la catégorie roadster à celle du Sport Heritage, comme l'appelle Yamaha, s'effectue sans anicroche et à vrai dire, nul ne s'en plaint.
La position reste naturelle malgré la retouche imposée par le réservoir étiré (capacité inchangée: 14L) et si quelques vibrations sont sensibles dans le guidon ou dans les repose-pieds, elles ne nous ont jamais gêné malgré des étapes de plus de 300km. De même, l'apparition d'un embrayage à glissement limité rend le maniement du levier gauche nettement plus doux et tend également à limiter les à-coups de transmission.
L'instrumentation, complète avec toutes les fonctions Trip Computer, souffre néanmoins de sa compacité: elle n'est pas toujours très lisible -surtout le compte-tours- et il faut constamment choisir les infos que l'on voudra voir affichées en les sélectionnant sur le bloc car il n'y a pas de commande au guidon. Sur les commodos, rien à signaler, si ce n'est qu'à gauche, le klaxon est trop proche des clignotants, ce qui vous amène régulièrement à confondre l'un et l'autre...
ABS, TCS et cartographies à la carte; la XSR n'est assurément pas rétro en tout, et c'est fort bien ainsi! De l'ABS, on retiendra qu'il complète bien un freinage au feeling perfectible en raison d'une attaque au levier pas très franche et qu'il nous a paru intervenir (trop) vite sur le frein arrière. Globalement, on dira que la XSR freine bien mais sans outrepasser les standards de la catégorie. De son côté, le TCS offre trois positions: off, 1 et 2 qui est la configuration la plus intrusive. Lors de la livraison de notre XSR d'essai chez Yamaha, le technicien nous conseilla de rester en position 1 avec la cartographie STD (standard): "Tu verras, ça permet de monter en wheeling sans souci." De fait... Sur TCS 1, il faut pratiquement le faire exprès pour voir l'antipatinage s'enclencher; la position 2 quant à elle rend la moto bien plus attentive aux différences de vitesses de rotation des roues. Nous avons particulièrement apprécié son action bienveillante sur de nombreuses portions de routes de campagne gravillonnées au long de notre itinéraire. Evidemment, l'antipatinage ne vous empêcherait pas de chuter si vous sortez d'une courbe sur le gras du couple en mettant gaz sur les gravillons mais, si vous faites montre d'un tant soit peu de prudence, le dispositif peut vous sauver la mise.
Enfin, des trois cartographies d'injection retenues sur le moteur CP3 c'est, à l'instar de ce qu'affirmait le technicien Yam, la STD qui est la plus cohérente: en A, le moulbif se montre un tantinet brutal et les à-coups de transmission déjà évoqués sont bien présents; en B, on perd trop en spontanéité mécanique et c'est presque un crime sur un tel moteur... Comme son patronyme l'indique, le CP3 se plie à l’approche "Crossplane" retenue depuis 2009 sur la R1. En l’occurrence, le vilebrequin est calé à 120°, ce qui apporte une séquence d’allumage à intervalles réguliers, 0°, 240° et 480°, garantissant la linéarité du couple disponible. Par rapport à un quatre-cylindres en ligne doté d’un vilebrequin à 180°, le trois-cylindres de la XSR donne une plus grande sensation de couple, car ses variations de couple de combustion et de couple composite sont quasiment identiques. A ce point de vue, force est de concéder que l’ingénierie nippone ne s’est pas fourvoyée. Le couple est en effet omniprésent dès 4000rpm et virtuellement jusqu’au rupteur, situé 7000 tours plus haut. La poussée est même étonnante de vigueur, évoquant là aussi une cylindrée supérieure et une architecture à 4 cylindres tant l’allonge de ce bloc paraît sans limites.
Et pourtant
Et en prime, le bougre vous gratifie d'une sonorité d'origine rocailleuse qui s'avère bien agréable à l'usage; sans parler d'une consommation qui peut même descendre sous les 5L/100km si l'on est économe (notre consommation moyenne maximale restait sous les 7L, ce qui est très bien si l'on tient compte du plaisir distillé par la mécanique.) Belle, moderne et dotée d'un moteur du tonnerre, la XSR serait-elle sans défaut? Disons que, là non plus, il n'y a pas de hasard...
Dès qu'on monte en selle, on remarque que le rembourrage retenu s'avère ferme et cette sensation se confirme au gré des kilomètres. Quand, comme nous, vous effectuez des trajets longs, vous finissez par avoir le popotin endolori. Pendant un temps, on se console en se disant que la petite bulle soulage tout de même mieux que prévu et que le moteur est un vrai pourvoyeur de sensations, mais au bout d'une bonne heure de route, la gêne apparaît et ne vous quitte plus. En outre, et nous nous étonnons grandement que peu d'autres essais de la machine ne s'en fassent l'écho, les suspensions de la XSR sont tarées très fermes: bondissantes sur les reliefs routiers, elles vous pilonnent littéralement le postérieur, le dos et les avant-bras. Comme nous avions choisi de faire notre trajet aller sur des routes de campagne très bucoliques mais parfois cahotantes, nous avons eu tout loisir de mesurer les désagréments et l'inconfort notoire engendrés par la dureté des suspensions et la fermeté de la selle. C'est selon nous un véritable inconvénient dont la XSR a souffert elle-même, jugez-en plutôt: notre Yamaha était équipée d'une série d'options parmi lesquelles un joli support de plaque métallique très bien fini. Manque de pot, cette pièce est plutôt lourde et, sous l'effet du martèlement constant des suspensions, elle a fini par se détacher en brisant le plastique du passage de roue où elle est fixée. Vous imaginez les résultats: passage de roue et garde-boue arrière abîmés, clignotants arrachés, plaque d'immatriculation tordue et presque détachée. Un vrai gâchis qui vient prouver cette dureté excessive des suspensions! A moins que vous ne rouliez que sur des billards, votre XSR nécessiterait donc le recours à des ressorts progressifs comme ceux que propose Hyperpro; c'est vrai que le kit 3 ressorts ne coûte jamais qu'environ 250€ chez le fabricant hollandais, mais c'est tout de même dommage de devoir y recourir sur une moto neuve...
Ces suspensions (trop) fermes ont aussi un autre inconvénient: comme le réservoir de la XSR est allongé par rapport aux MT et Tracer, le centre de gravité de la version néo-rétro est reculé, de sorte que son poids sur l'avant diminue et cela, d'autant plus que le pilote recule lui aussi pour s'adapter au nouveau réservoir. Il en résulte un avant aux réactions parfois surprenantes; tantôt paresseux en entrée de courbe (la XSR est sous-vireuse) tantôt nerveux en sortie à l'accélération, comme s'il était trop léger et que la moto hésite sur la direction à suivre sous l'effet du couple généreux du CP3. Enfin, la même cause occasionne une autre conséquence: la XSR n'aime pas trop les freinages sur l'angle car sa fourche se verrouille trop facilement et la moto se redresse vite.
On en dit quoi?
Gardons raison et tamisons nos propos: la XSR n'est aucunement une moto dangereuse et, une fois qu'on en a compris les particularités -ce qui se fait très vite d'ailleurs-, on s'adapte à son comportement. Bon an mal an, on se dit qu'elle n'a rien d'une sportive et qu'il ne faut donc pas attendre la rigueur d'une R6; et on se console en se disant qu'au fond, Yamaha a réussi à contenir son pris de vente. Bien qu'il reste absolument légitime de pester contre ses manquements (inconfort et imprécision), la XSR se donne avec une esthétique unanimement appréciée et un moteur certainement parmi les plus réussis de la production actuelle, toutes marques confondues. Charmeuse et imparfaite; on vous le disait: il n'y a pas de hasard!