KTM connaît la plus belle progression des ventes parmi les constructeurs européens. Forte de son alliance avec l’Indien Bajaj, la marque autrichienne propose des produits séduisants sans faire exploser ses tarifs. Et cette RC390 est le moyen idéal de réconcilier tous les motards avec les petites cylindrées, pas seulement les possesseurs de permis A2. Yamaha l’a bien compris avec son YZF-R3 testée l'an dernier…
Dans ses unités de production indiennes, Bajaj produit annuellement environ trois millions (!) de deux-roues, une quantité garante d’un certain niveau de qualité. Employant une main-d’oeuvre bon marché, le constructeur indien est en mesure de faire baisser les coûts de production chez KTM. Les Duke 200 et 125, dont la RC dérive, furent les premiers fruits de cette collaboration indo-autrichienne née sous les meilleurs auspices puisque la Duke 125 s’avère un best-seller dans sa catégorie. Aucune crainte à avoir sur le produit fini, nous dit-on chez KTM, puisque chaque moto arrivant d’Inde fait l’objet d’une validation à Mattighofen avant d’être acheminée en concession.
Les détails font la différence
Pour être franc, c’est peu dire que la RC390 fait impression, et c’est le cas dans pratiquement tous les domaines. Commençons par un examen statique : les détails flatteurs dans les finitions ou l’usinage de certaines pièces (bras oscillant, mécanisme de tension de chaîne, té de fourche, jantes, …) évoquent une machine conçue avec grand soin, comme si elle était de cylindrée supérieure. De même, la ligne générale fait mouche: sur cette KTM, tout respire une agressivité taillée à la serpe et rappelle la sculpturale RC8R, jusque dans son feu arrière. La déco retenue sur cette 390, avec le carénage blanc, mais lui confère une allure des plus racing. Après tout, c'est bien naturel lorsque l'on veut s'afficher Ready to Race, comme le clame le slogan autrichien.
Et puis, il y a les originalités maison qui, une fois encore, démarquent la 390. Non content d’afficher de belles performances dynamiques, le cadre en acier passé à l’époxy orange participe grandement à sa personnalité esthétique ; et que dire de cette bulle ouvragée qui se prolonge sur les flancs de la tête de fourche ? En voilà une qui compliquera rudement la tâche des manufacturiers qui voudraient concevoir une bulle adaptable… Remarquez, il y en a une dans le vaste catalogue d’accessoires maison : une bulle racing qui s’avère en réalité plus haute que le modèle original ; un must pour une machine bien plus performante qu’une 125. Bien qu’elle ne fasse pas l’unanimité, la proéminence avant est également très personnelle ; à défaut d’être belle, elle est au moins singulière. Enfin, la surprise provient de cette selle arrière que tout le monde prend pour… un dosseret. Bien joué : c’est beau, sportif et pourtant fonctionnel et confortable, car un éventuel passager ne s’en plaint absolument pas, sachez-le. Et l’échappement, vous l’avez vu ? Non, évidemment, car sur le modèle 2015 que nous avions à l'essai, il est encore savamment intégré au bas de carénage : une des plus belles réalisations qu’on ait vu dans le domaine. Malheureusement, le passage à la norme Euro-4 nantit le modèle 2016 d'un silencieux classique bien moins harmonieux...
Lorsqu’on prend les commandes, on sent très bien que les RC sont issues d’un moule identique. Gain immédiat : tous les gabarits trouvent leur place sur une RC, nous l’avons expérimenté avec des pilotes allant de 1m64 à 1m95, tant sur la 125 que sur la 390. Un incontestable bon point. Le tableau flatteur se poursuit avec une instrumentation imbattable dans la catégorie ; on y trouve en vrac : rapport engagé, consommation et vitesse moyennes, température moteur, jauge à essence, autonomie restante, horloge, indicateur d’entretien. Bref, c’est pléthorique et plutôt précis, ce qui ne gâte rien. Et les cerises sur cet appétissant gâteau se retrouvent dans les commodos éclairés -un must pour ceux qui roulent fréquemment de nuit- et surtout dans la présence d’origine d’un ABS débrayable qui met une claque technologique à la concurrence. Tiens, au fond, ne vous demandez pas d’où sort l’étrier de frein avant estampillé BYBRE, cela signifie seulement By Brembo ! Seul bémol à signaler : le calcul d’autonomie restante s’avère très imprécis et affiche « 0 » beaucoup trop vite.
Plus ça tourne, plus on l'aime
Lorsque la mécanique est lancée, on s’aperçoit immédiatement que le ramage discret et métallique de la RC125 est ici remplacé par un souffle nettement plus grave et valorisant, plus en phase avec son plumage ravageur… Plus haut dans les tours, cette sonorité se fait certes plus aiguë, mais pas assez pour vous convaincre d’y ajouter un silencieux racing, qui serait par ailleurs impossible à intégrer aussi discrètement que l’élément d’origine. Nous l'avons d'ailleurs expérimenté au cours d'un galop d'essai effectué au guidon d'une RC équipée par Akrapovic: les gains en performances et en sonorité nous ont paru négligeables, mais les vibrations étaient nettement plus présentes. La douceur exemplaire des transmissions fut quant à elle un perpétuel étonnement durant notre essai de 600km : l’embrayage est si suave qu’un doigt suffirait à le manipuler et il adopte en outre un dispositif anti-dribbling sur le modèle 2016. De son côté, la boîte est douce et précise mais nous a parfois posé des problèmes au moment de retrouver le point mort; en réalité, la boîte est bien en neutre, mais le voyant ne s’allume pas, ce qui vous laisse dans l’expectative.
L’impression à retenir au guidon ? Elle vous saute au visage dès le premier giratoire : à l’instar de la 125, la RC390 est d’une incroyable maniabilité. Comme une moto de course, la KTM plonge pour ainsi dire toute seule au point de corde pour changer d’appui ensuite avec une facilité déconcertante ; à tel point qu’on se croirait au guidon d’une Moto3 ! Normal, KTM s’y connaît dans le domaine, même si une vraie Moto3 fait quelques chevaux de plus et 60kg de moins… Il reste que la 390 confirme ce sentiment d’effectivement chevaucher une machine Ready to Race ! Cette faculté de prendre la corde avec une facilité insolente se double de passage en courbes avalés à des allures difficiles à soutenir au guidon de plus grosses cylindrées ; nous en avons fait plus d’une fois l’expérience au long de notre semaine d’essai : l’inertie très limitée de la mécanique et le poids léger vous font plonger dans le virage sans qu’il soit besoin de freiner.
Pour les amateurs de sensations de pilotage, c’est un plaisir permanent. Et avec la 390, on sent que la puissance fait un bond en avant si on la compare à la 125… Car les sorties de courbes sont étonnamment énergiques grâce au moteur qui pousse sans regimber dès 4000rpm pour se déchaîner à partir de 7000rpm. Ce régime atteint, la 390 dépasse sans coup férir des automobiles, même assez puissantes et en pleine accélération ; confirmant ainsi qu’elle pourrait suffire à tous les contextes de la conduite quotidienne, nonobstant son brio naturel sur piste. Croyant être confronté à une petite cylindrée incroyablement performante, un conducteur de GS qui venait d’être dépassé m’interpelle à un feu rouge : « Tu lui as fait quoi à ta 125 ; elle pousse du tonnerre !? » Constatant qu’il s’agissait d’une 400, il conclut : « Je ne savais pas qu’on faisait encore des 400… En tous cas, ça a l’air rudement gai à piloter. » Et de fait, au guidon, on ne s’ennuie jamais, et d’autant moins que, par rapport à la 125, ce sont près de 45cv -soit trois fois plus!- qui animent 147 petits kilos.
Ce plaisir récurrent n’est pas gâché par le travail des suspensions tant qu’on parle confort : fourche (non réglable) et amortisseur arrière (réglable en précharge uniquement) ne se montrent pas trop fermes, préservant ainsi un confort bienvenu dès qu’on connaît la dureté de la galette sur laquelle on est assis. Car, si on a vu que le passager ne se plaignait pas de son faux dosseret, et il ne se plaint pas davantage de l’amortissement, le pilote lui est assis sur du bois, impression racing oblige là encore… Mais revenons-en aux suspensions, signées White Power comme il se doit sur une KTM : l’épure retenue se montre donc conciliante pour l’équipage, mais voilà que l’embonpoint supplémentaire dû au moteur différent ainsi que le surcroît de puissance viennent un peu perturber l’excellent bilan de la 125. On apprécie à sa juste valeur l’excellent guidage qu’elles ménagent, mais on note cette fois quelques réactions parasites sur les bosses lorsque la cavalerie est sollicitée, et c’est surtout à l’arrière que cela se manifeste. En réalité, le combiné White Power se révèle juste un peu tendre pour une 390 à l’attaque, et on notera parfois de légers flous à l’accélération en sortie de courbe, surtout si le revêtement n’est pas lisse. Ceci dit, c’est vite assimilé par le pilote, et cela s’avère même agréable en ajoutant une touche racing supplémentaire puisqu’on a l’impression de maîtriser sa machine comme en GP… Malgré la révision des cotes de la Duke (empattement réduit et angle de chasse fermé), la RC ne souffre d’aucun problème de stabilité et vous rassure toujours dans les courbes qu’elle avale, on l’a vu, à très vive allure.
Dans ce domaine, l’équipement Brembo s’en tire honorablement, mais sans plus. Ce n’est pas une surprise si l’on considère que la dotation de la RC390 est identique à celle de la RC125, mais qu’il y a ici davantage de poids et bien plus de chevaux à gérer… On note qu’il faut utiliser (presque) toute la course du levier droit pour profiter d’une puissance de décélération optimale ; aucun problème de toute manière puisque l’ABS veille au grain. Et il le fait intelligemment, comme il convient sur une sportive, en n’intervenant que (très) tard à l’avant et plus rapidement à l’arrière, notamment sur des sorties d’autoroute cahoteuses par exemple. En tout état de cause, c’est plus l’impression d’un freinage dosable plutôt que puissant qui prévaut lorsqu’on en tire le bilan. Disons que la puissance de décélération est amplement suffisante, et nous ne revendiquerions pas forcément un second disque sur la 390 ; mais il reste qu’un freinage d’urgence lorsqu’on roule en couple et qu’on utilise le potentiel du moteur pourrait s’avérer plus problématique. L'équipement racing proposé au catalogue optionnel Power Parts change diamétralement la donne, nous a-t-on précisé chez l'importateur.
Un moteur respectable
Le bloc autrichien de 373cc se montre assez rond pour peu que l’on soit à 4000rpm ; plus bas, il reprend évidemment avec une certaine paresse. On n’est que sur une 400, ne l’oublions pas! Souple cependant, il accepte de reprendre même si on le traite contre-nature en relançant à dessein un rapport trop haut ; ensuite, le 400 efface la linéarité du 125 au bénéfice d’un véritable caractère furieux dans les tours. Les envolées lyriques, c’est son truc à ce petit teigneux, et ses accélérations qu’on peut pratiquer sans trop de retenue deviennent vite source de griserie pour le pilote, transformant ainsi la ville ennuyeuse en terrain de jeu. En termes de performances pures, notre RC390 de test a atteint 175km/h au compteur (en légère descente) avec un escogriffe d’une bonne centaine de kilos au guidon ; en couple, le 150km/h est atteint sans problème sur le plat. Ce bilan confirme une fois de plus que cette RC dispose du potentiel suffisant pour combler nombre de motards parmi ceux qui ont compris que les chiffres du chrono ne sont souvent que pur fantasme. L’écart avec la 125 est gigantesque et, pour l'anecdote, on retrouve également cette différence à la station-service : 3,1L/100km pour la RC125 contre 3,7L à 5,4L/100km pour la 390 en fonction du type de pilotage.
Nous l’avons vu, la RC se joue de la ville avec une facilité déconcertante. Cette « évidence » est du reste une des qualités marquantes de la KTM qui, malgré son air à ne pas s’en laisser conter, se révèle au fond extrêmement conciliante. Bien entendu, eu égard à sa cylindrée qui reste limitée, on prendra soin de la garder au-delà des 4000rpm si l’on veut profiter de reprises dignes de ce nom. Et, trois mille tours plus haut, on jouit de toute la cavalerie nécessaire pour se faire respecter non seulement par le flot des voitures, mais aussi par des motos de plus forte cylindrée. Tiens, la 390 vous rappelle aussi qu’elle n’est pas une 125 par ses dégagements de chaleur, bien sensibles en milieu urbain.
Bien que la conduite en ville soit très agréable puisque ses performances en font la reine des feux et des petits coins, la RC distille d’autres plaisirs lorsqu’elle quitte les agglomérations. En effet, ses prestations dynamiques sont telles que le plaisir de pilotage -même pour un pistard- est au rendez-vous dès que la route se fait sinueuse. Et ici, plus question de rendre pavillon sur l’autoroute où elle peut « croiser » à 160km/h compteur sans fatigue apparente. On y note toutefois une particularité aérodynamique du modèle que les performances nettement moindres de la 125 ne nous avaient pas permis de constater : au-delà de 140km/h, dans le sillage des véhicules volumineux, l’avant louvoie comme si le « bec de canard » sous les phares avait tendance à délester le pneu et à soulever la moto. Ce n’est ni dangereux ni même perturbant, c’est à constater, c’est tout..
N’empêche, aux yeux de votre serviteur habitué à des sportives de grosse cylindrée, cette RC390 est un outil susceptible de séduire un large public qui s’étendrait même jusqu’aux motards expérimentés désireux de pratiquer un pilotage sportif et précis sans atteindre des allures démentielles. A son guidon, comme à celui d'une YZF-R3 tout de même moins brillante en dynamique, on en vient à se dire que, décidément, plus gros serait futile. Sans compter que le prix de la 390 n’a rien à voir avec celui des gros cubes: moins de 6000€ ABS compris, c’est un tarif à faire de l’ombre à une 125 qui ne coûte finalement pas beaucoup moins.