Par-delà le fait qu'une MV Agusta reste une machine dont la rareté fait une exception, celle que nous essayons aujourd'hui se distingue en outre par son positionnement. Un gros trail dans la gamme de Varèse, serait-ce possible?
A un journaliste qui lui posait la question lors de la présentation de la machine à la presse, souvenons-nous que Giovanni Castiglioni répondit sans ambages: "La Turismo Veloce n'est pas un trail, c'est une sportive confortable!" C'est avec l'idée d'éprouver cet aphorisme que nous avons abordé notre Turismo Veloce Lusso SCS (sa dénomination officielle et complète), et force est de reconnaître qu'il capo ne mentait pas. Bon sang ne saurait mentir et, après tout, MV Agusta ne produit que des machines affûtées depuis sa création en 1943 par le comte Domenico Agusta, à qui son père avait légué une fabrique... d'avions. Epris de moto, le comte va tout naturellement orienter la production vers ce qui fait sa passion. 37 titres mondiaux et moult vicissitudes plus tard, MV Agusta continue de promouvoir une certaine idée de la moto: un véhicule à l'esthétique ciselée, technologiquement abouti et servi par une captivante exclusivité.
Iconoclaste
Différente, la Turismo Veloce (TV) l'est d'abord par son 3-cylindres et ensuite par ses mensurations compactes; elle est aux trails -même si ce n'en est pas un...- ce que la Brutale est aux roadsters: une bête râblée prête à fondre sur une proie. Sceptique? Outre la métaphore, les chiffres parlent d'eux-mêmes et nous apprennent que l'empattement de la TV est 140mm (!) plus court que celui d'une Ducati Multistrada, par exemple. Avec ses 192kg à sec, la MV Agusta accuse aussi 17kg de moins que la Ducati et 35kg de moins qu'une BMW GS. On commence à comprendre la définition qu'en donnait Giovanni Castiglioni... Dans la même veine, la Turismo s'équipe aussi d'un vilebrequin contrarotatif (il tourne dans le sens contraire de celui des roues), une technologie répandue en MotoGP mais très rare dans la grande production. Cette solution présente le double avantage de s'opposer tant à l’effet gyroscopique produit par la rotation des roues qu'à l’inertie durant l'ouverture des gaz et lors des freinages. Les résultats: une agilité accrue ainsi qu'une plus grande résistance au délestage de l'avant -donc une meilleure accélération- ou au renversement, ce qui optimise les freinages.
On le voit, la Turismo Veloce se veut hype et, dans notre version SCS (Smart Clutch System), une exclusivité maison, c'est manifeste. Ce SCS est un système d'embrayage automatique qui se singularise par sa compacité: il génère un surpoids de 36 grammes là où le DCT Honda ajoute... 10kg à la machine qu'il équipe.A l'origine, le SCS est un dispositif commercialisé par la société américaine Rekluse, qui l'a développé pour les motos de cross et d'enduro. MV Agusta a acquis la technologie et a pris deux ans pour l'adapter à une machine aux poids, puissance et cylindrée nettement supérieurs. Nous verrons plus bas tout le bien qu'on peut en penser, mais sachez déjà que cette singularité technologique gonfle le tarif de 1800€.
Ceux qui sont sensibles au haut de gamme apprécieront aussi la présence sur la version Lusso ("luxe" en italien) de suspensions semi-actives pilotées électroniquement. Qu'est-ce à dire? Au tableau de bord, le pilote règle la précontrainte de ses ressorts avant et arrière en fonction de la charge (pilote seul, duo, avec ou sans bagages) tandis que des accéléromètres présents à l'avant et à l'arrière de la moto analysent le travail de la fourche et du bras oscillant; ces données sont instantanément traitées par un calculateur et un algorithme spécifique les traduit en modifications de l'hydraulique. On obtient donc des suspensions capables de s'adapter en temps réel non seulement à votre type de conduite mais également aux caractéristiques du revêtement routier. Outre la facilité évidente de pouvoir se passer d'outils, le système, qui a bien évolué depuis la première mouture de l'ESA siglé BMW, s'avère remarquablement efficient, on y reviendra.
Nantie
Nous l'avions déjà constaté en essayant la Brutale RR, le niveau de qualité perçue des MV Agusta a considérablement progressé ces dernières années et la TV, sur laquelle la marque fondait de gros espoirs jusqu'ici déçus en raison d'une communication marketing trop pauvre, en est l'illustration. Si, comme de juste, le carter transparent du SCS aimante les regards, un œil inquisiteur aurait bien du mal à se poser sur un élément discutable. A contrario, il n'aurait aucun mal à s'attarder sur des composants valorisants; citons en vrac la sculpturale triple sortie d'échappement,
l'arrière ultraléger dès que les valises sont ôtées, l'instrumentation TFT couleurs, les jantes, les valises profilées ou encore les signatures lumineuses. On ne manquera pas d'y ajouter une dotation d'origine qui vient (tenter de) justifier un prix de vente culminant tout de même à 21490€. Rédhibitoire? Pas complètement au regard de l'équipement présent d'origine qui fait de la TV Lusso une machine résolument haut de gamme (poignées chauffantes, bulle réglable, cruise control avec limiteur, shifter up&down, 4 cartographies dont une entièrement paramétrable, gestion bluetooth, frein de parking, etc).
Si vous souhaitiez aussi notre opinion esthétique, nous dirions que la Turismo Veloce est très réussie quant à son profil et à son arrière résolument sportif malgré la présence des valises, mais nous sommes plus réticents s'agissant de la face avant que nous trouvons dénuée de personnalité. Nul n'est évidemment tenu de partager ce jugement subjectif par nature mais, de face, la TV est banale; sans les LEDs omniprésentes, on la prendrait presque pour un trail au rabais...
Contact à l'ancienne, avec une clé, puisqu'aucune MV Agusta n'embarque pas encore de système keyless. Alors qu'on voit l'embrayage travailler par le hublot du carter, la sonorité du Tre Pistoni se révèle: caverneuse et métallique mais avec des accents hargneux du meilleur effet. Alors qu'il développe 140cv sur la Brutale RR, le triple de 800cc plafonne ici à 110cv avec un couple de 80Nm, mais ces valeurs sont obtenues nettement plus bas, de sorte qu'à l'usage, la différence est moins sensible qu'on pourrait le croire. Car ce trois-cylindres italien bouscule les codes et est un des moteurs les plus expressifs que nous ayons croisés au cours de notre (longue) carrière d'essayeur. Plus linéaire que sur la RR, il n'en pousse pas moins avec une vigueur peu commune sur toute sa plage d'utilisation optimale tout en faisant preuve d'une belle souplesse toujours épaulée par l'embrayage automatique. Bien aidée par le poids contenu et ce moulin rageur qui ne pèse que 52kg, les reprises sont d'ailleurs grisantes car la poussée ressentie laisse à penser que vous déchaînez une cavalerie plus importante que les 110 canassons annoncés. D'autant que plus on grimpe dans les tours, plus la sonorité séduit.
Sereine
Au guidon, la position est parfaitement naturelle et les commandes sont idéalement placées; il faut juste tenir compte d'une hauteur de selle importante (850mm). Pour connecter votre GPS ou tout autre dispositif électronique, vous disposez d'une prise allume-cigare sur le côté droit et de deux prises USB sous l'instrumentation. Il y a même deux petits rangements, qui ferment hermétiquement mais sans verrouillage, dans les retours de carénage.
Le moment est venu de gérer l'électronique avant le départ. Bonne surprise: il suffit de deux boutons aux commodos et les menus au tableau de bord sont intuitifs; inutile donc d'étudier par cœur le manuel du propriétaire pour s'acquitter des réglages basiques (ABS, Traction Control, Mappings, Cruise Control, etc). Pour plaire à Giovanni Castiglioni, la TV "qui est une sportive" embarque aussi un système d'acquisition de données qui, par le biais d'une application dédiée, vous renseignera sur les aspects techniques de votre itinéraire comme le font les dispositifs équipant MotoGP et Superbikes. Et ce n'est pas tout, car cette même application vous permet aussi d'intervenir dans les réglages fins de la moto, par exemple en réglant la sensibilité du ride-by-wire (accélérateur électronique) ou en définissant l'intervention du rupteur...
S'agissant des mappings de l'injection, du reste très bien maîtrisée, on est en terrain connu. Le mode Sport rend la TV agressive dans ses montées en régime et en fait une usine à sensations. Sur Touring, on reste en full power, mais avec une arrivée de la puissance lissée dans la première moitié du compte-tours, tandis qu’en configuration Rain, puissance et couple sont limités sur toute la plage de régimes sans pourtant que ce sacré moteur devienne apathique. Reste alors le mapping Custom qui permet, comme nous le disions plus haut, de paramétrer entièrement sa moto selon ses désirs et de corriger les niveaux d'anti-patinage ou d'ABS automatiquement attachés à telle ou telle cartographie.
Reste alors à jauger le fameux SCS en se posant la question qui vous taraude: gadget ou avancée technologique? D'abord, il faut reconnaître que le dispositif est pleinement fonctionnel et transparent; il ne souffre ni de ratés ni d'hésitations quelconques. MV Agusta en dit qu'il rend l'utilisation du levier gauche inutile "dans 99% des cas", le pour cent restant c'est au démarrage -question de sécurité- et... pour les wheelings. En pratique le SCS rend effectivement obsolète votre levier d'embrayage, même dans des situations incongrues: vous êtes en première dans votre garage, moteur tournant, et vous pouvez faire marche arrière impunément sans toucher à rien; ou encore vous redémarrez en... sixième et le SCS s'occupe de tout sans même que la moto hésite! Et puis, dans les embouteillages ou au feu rouge, c'est tout de même un bonheur de pouvoir s'arrêter et redémarrer sans s'astreindre à débrayer/embrayer.
Le système est donc une évidente réussite qui, chrono en main, permet à la version SCS d'être plus rapide que la version manuelle lors des démarrages; du moins c'est ce qu'affirme MV Agusta, et on veut bien le croire. La seule occurrence qui surprend à l'usage, c'est que si vous rentrez un des trois premiers rapports alors que vous étiez déjà assez bas dans les tours, le SCS annule complètement l'effet du frein moteur et vous croyez à tort être tombé sur un faux point mort. En fait, il n'en est rien et il suffit de mettre gaz pour repartir de plus belle! Encore deux choses: d'abord, la présence du SCS a contraint MV Agusta à doter sa TV d'un frein de parking sous la forme d'un petit levier surplombant la pédale de frein; ensuite, le couple SCS et shifter fait des merveilles en termes de facilité de conduite mais aussi en matière de sensations sportives. Au total, nous serions donc enclins à y voir une véritable plus-value technique en dépit du débours supplémentaire qu'elle implique. Un dernier détail, le pilote peut aussi décider d'utiliser normalement son embrayage et il découvre alors des transmissions d'une belle suavité.
Belliqueuse
Avec un tel moteur et une technologie embarquée de haut vol, la TV n'a évidemment aucune intention de baisser les yeux face à quelque concurrente que ce soit. Et, pour ce faire, elle a dans son arsenal quelque chose qui s'apparente à l'arme absolue: son vilebrequin contrarotatif, couplé à l'empattement limité et à la faible masse fait merveille. S'il s'agit d'agilité, la Turismo édicte tout simplement de nouveaux standards dans la catégorie; aucun autre trail, si bien suspendu soit-il, n'approche la vivacité et la facilité à prendre la corde de cette MV Agusta, et l'on se dit qu'au fond, sa définition de sportive confortable lui sied parfaitement. Plongées en virages, changements de direction, corrections de trajectoires, la TV s'acquitte de tout cela avec maestria mais aussi avec beaucoup de naturel, n'exigeant finalement que peu de son pilote, lequel peut se contenter de gérer les gaz avec l'aide bienveillante du SCS et du shifter qui, coupant tant l'allumage que l'injection, s'avère doux d'utilisation.
La remontée d'informations en provenance de l'avant n'exige aucun décryptage parce que le travail des suspensions semi-actives est limpide sur toutes les phases de pilotage (la fourche et le vilebrequin limitent même fortement la plongée lors des freinages) et, en cas d'excès d'optimisme, soulignons que la TV ne se verrouille pas lorsqu'on sollicite les disques avant en pleine courbe. Redoutablement précise et agile, telle est la Turismo Veloce. Et du côté du monobras, c'est pareil: il assure une excellente motricité, au point que l'anti-patinage n'intervient pratiquement jamais sur le sec. Ceci dit, il n'a jamais plu durant notre essai mais il est hors de doute que la cartographie Rain jugule suffisamment les velléités offensives du Tre Pistoni. Pour domestiquer cette exubérance mécanique, le châssis tubulaire apporte sa stabilité et sa rigidité proverbiales. Ainsi, même à des allures prohibées sur autoroute, la TV ne louvoie absolument pas.
De son côté, le freinage mise davantage sur la progressivité que sur une puissance brutale; fin ressenti sont ses maîtres mots, il ne concède rien en efficacité et reste toujours prévisible. De surcroît, le réglage fin de l’ABS permet une configuration où le système, déjà peu intrusif de conception (un peu plus sur l'arrière que sur l'avant), se fait remarquablement discret tout en continuant à assurer en filigrane sa part de sécurité active.
Nous ne manquerons pas d'ajouter que la TV vous permet de profiter de ses qualités sportives sur de longues distances puisqu'elle s'avère en effet confortable. La sellerie se fait oublier, la position est reposante et la bulle, une fois en position haute, vous soustrait en grande partie à la pression du vent. Deux cerises sur ce gâteau du bien-être à bord: pour le pilote, le sigle MV qui orne le bas de la selle passager fait office de dosseret voire de sissy-bar permettant une posture plus détendue grâce au soutien lombaire.
Pour le passager, il trouve suffisamment d'espace et apprécie les poignées de maintien ainsi que les jambes peu pliées. Son assise surélevée lui permet de profiter du paysage, mais le soumet néanmoins aux turbulences. N'omettons pas de préciser que, lorsque la route se prolonge, le cruise control est allié de choix pour la qualité de vie de l'équipage tandis que le réservoir de 21,5L ne demande lui aussi qu'à allonger les étapes. Nos consommations mesurées ont évolué quant à elles entre 6L/100km et 7,4L/100km en fonction de nos velléités offensives au guidon.
Dispendieuse mais...
Voilà une moto que l'on a peine à restituer, au terme de son essai, tant ses qualités et le plaisir qu'elle distille sont incontestables. Son tarif cependant pourrait refroidir plus d'un amateur: 21490€ pour cette Lusso SCS, c'est une somme qui confine au coup de massue et permet aussi de s'offrir les ténors du segment évoqués plus haut, chez Ducati et BMW, dans des versions de choix. On pourra avancer les deux exclusivités que sont le vilebrequin contrarotatif et le SCS, la personnalité débordante du 3-cylindres, le comportement sportif hors normes pour un "trail", l'équipement pléthorique all inclusive, les trois ans de garantie. Mais au fond, peut-être l'essentiel de cette Turismo Veloce est-il encore ailleurs, dans le charme intangible mais puissant de l'exclusivité.